La mort à la plage

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Critique de "Madre", de Rodrigo Sorogoyen (sortie le 22 juillet 2020).

La mort à la plage
Depuis que son fils a disparu sur une plage des Landes alors qu'il était en vacances avec son père, Elena a décidé de tout quitter pour y vivre. Dix années plus tard, elle remarque sur la plage un adolescent qui lui rappelle son fils. Une étrange relation se noue entre eux... Profond et nuancé, le film de Rodrigo Sorogoyen constitue une immersion dans l'univers mental d'un deuil impossible, ne laissant aucune place, ou presque, à la lumière...

Il faut s'armer de courage pour se confronter pendant plus de deux heures à une impossibilité de vivre. Une incapacité à être. Une pensée étouffée, évitée, quand elle n'est pas obsédante. C'est probablement parce qu'elle n'arrive plus à vivre, autant que parce qu'elle veut continuer coûte que coûte à être connectée au souvenir de son fils, peut-être à espérer son retour, qu'Elena a choisi de s'installer sur le lieu précis de sa disparition. Entre punition et espoir, elle s'est construit un semblant de vie dans un appartement de location saisonnière aseptisé, réduit à sa fonctionnalité, comme elle souhaiterait que le soit son mental, si tant est que ce soit possible. Un job répétitif, une relation qui l'est tout autant, avec un ami intermittent qui aimerait l'extirper de ce lieu de malheur pour la ramener à la vie. Une incapacité à regarder une photo de son fils, une phobie du téléphone portable... autant de traces du traumatisme qu'elle a dû subir, et dont on ne saura rien d'autre que ce que le réalisateur, dans une démarche uniquement descriptive, nous montre d'elle. Ce procédé, qui consiste à dépouiller les enjeux narratifs à l'extrême au niveau scénaristique, permet de maintenir une ambiguïté constante chez le spectateur concernant la nature exacte du lien qui se noue entre Elena et Jean, l'adolescent que - peut-être - elle prend pour son fils et qui ne va plus pouvoir se passer d'elle - et réciproquement. On n'assiste qu'à ce qu'ils ressentent, jamais à ce qu'ils pensent, et c'est sur ce suspense émotionnel que repose tout le film.

Madre est donc avant tout un film de mise en scène, et celle-ci est tellement au service d'Elena, dont Marta Nieto retrancrit admirablement la façon dont la présence de Jean l'obsède au point d'en faire son unique objet pulsionnel de vie, que sa douleur contamine toute la pellicule. Les lieux filmés sont constamment tristes, les personnages qui entourent ce couple étrange semblent désincarnés, évoluant dans une vie qu'elle a choisi de déserter. La façon même dont Sorogoyen dirige les acteurs, essentiellement français, témoigne d'une distance que la barrirère de la langue ne suffit pas à expliquer. Tout ceci, ajouté à la longueur du film et à l'absence de lumière ou d'espoir auxquels se rattacher, rend sa vision assez plombante.

Deux maladresses viennent déstabiliser quelque peu ce bel objet cinématographique. La première est cette scène d'ouverture qui, si elle est admirable d'intensité, est tellement à part dans le film, et pourrait tellement ne pas y figurer, qu'elle nuit presque à sa cohérence. Le film étant adapté d'un court-métrage, on suppose que cette scène correspond à celui-ci. Ce segment peine à se rattacher au reste. La deuxième maladresse, plus gênante, est le choix, dans un final par ailleurs très émouvant, de rompre partiellement avec le voeu d'ambiguïté que le réalisateur avait fait concernant le lien entre Elena et Jean. Parce qu'il montre déjà trop, au risque de suggérer, le procédé est inutile. L'interrogation constante, et extrêmement bien retranscrite, concernant l'impact de cette mère hantée par l'absence et la douleur sur ce jeune ado de plus en plus fragilisé - est-ce une relation toxique témoignant de l'incapacité de cette femme à ressentir la moindre empathie en raison de son deuil manifestement pathologique, ou bien une façon pour chacun de (ré) expérimenter la beauté du lien humain, nécessaire à tout maintien en vie? - suffisait. 

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