La médecine américaine fait mieux que nous : ah bon, t'es sûr ?

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La médecine américaine fait fantasmer bien des praticiens français. À tel point que beaucoup rêvent d’un exil doré dans un hôpital de pointe Outre-Atlantique. On ne saurait trop conseiller à ceux-ci de lire un petit livre que la chercheuse Élisa Chelle a publié au début de l’année. L’ouvrage risque de dégonfler leur enthousiasme, mais ils sauront à quoi s’en tenir à propos du système de santé de l’Oncle Sam.
 

La médecine américaine fait mieux que nous : ah bon, t'es sûr ?

« Personne ne pouvait savoir que le secteur de la santé était si compliqué ! », s'est exclamé Donald Trump en février 2017, feignant de découvrir le caractère labyrinthique du système de soins de son pays. Les conseillers du président américain devraient lui offrir une traduction de Comprendre la politique de santé aux États-Unis, petit ouvrage de la chercheuse en sciences politiques de l'université Lyon 3, Élisa Chelle, publié par les Presses de l'EHESP en janvier dernier.
 
Cet opuscule analyse en effet de manière remarquablement pédagogique les méandres sanitaires du pays de l’Oncle Sam, et le locataire de la Maison-Blanche en tirerait sûrement profit. On pourrait également recommander ce livre à bien des médecins français qui, lassés des pesanteurs hexagonales, se laissent charmer par les sirènes du rêve américain.
 
Il faut reconnaître que les praticiens « béret­baguette » ont bien des raisons de porter leur regard de l'autre côté de l'Atlantique. La Mayo Clinic (Minnesota) et la Cleveland Clinic (Ohio) ne figurent-elles pas au firmament des classements hospitaliers mondiaux ? La Harvard Medical School n’est-elle pas le nec plus ultra de la formation médicale ? La Food and Drug Administration (FDA) ne donne-t-elle pas le « la » au monde entier pour l'évaluation des médicaments ? L'impact factor du New England n'a-t-il pas de quoi faire pâlir d'envie tout universitaire digne de ce nom ?

Un beau bazar

Tout cela est vrai, et l'ouvrage d'Élisa Chelle ne cherche pas à le démentir. Son livre s’attache plutôt à décrire le système dans lequel s'inscrit la médecine d'élite à l'américaine. Et le tableau qui en résulte a de quoi refroidir les ardeurs de ceux qui se verraient bien s'envoler vers l'Ouest. Premier constat : les médecins américains travaillent dans ce qu'il faut bien appeler un beau bazar. « Utiliser le terme de ''système" pour désigner le fonctionnement de l'ensemble des services de soins et de santé aux États-Unis est une entreprise audacieuse », écrit la Lyonnaise. « Le ''système" est en fait composé de sous-systèmes en interaction partielle entre eux ».
 
Car entre le niveau fédéral et celui des États, entre ce qui relève du secteur public, du privé à but non lucratif et du privé à but lucratif, tout s'imbrique et rien n'est simple. Il faut ajouter à cela le rôle des assureurs, qui s'impliquent souvent dans le soin via les réseaux de soins ou en gérant eux-mêmes des établissements sanitaires.
 
Résultat : le parcours du patient est presque davantage déterminé par l'État dans lequel il réside et par les partenariats inclus dans son contrat d'assurance que par son état de santé, ses décisions... ou celles de son médecin.

$i c'est cher, c'est que c'est bon ?

Il y a aussi la question des coûts. Ceux qu'engendre le système de santé américain sont sans commune mesure avec ce que nous connaissons de notre côté de l'Atlantique : Élisa Chelle rappelle que les Américains consacrent à la santé 18 % de leur PIB, et que certaines projections estiment qu'en 2030, celle-ci représentera un tiers de l'activité économique aux États-Unis.
 
Bien sûr, dira le médecin qui rêve d'Amérique, mais les États-Unis sont LE pays de la technologie médicale, et les coûts exorbitants du système de santé ne sont là-bas que le prix à payer pour une médecine de pointe. Pas vraiment, répond en substance Élisa Chelle. Celle-ci note en effet que les praticiens américains sont soumis à un « impératif technologique » qui leur fait systématiquement considérer que « le meilleur soin possible est celui qui utilise une technologie de pointe, indépendamment du ratio coût-bénéfice ».
 
Les coûts sont également tirés vers le haut par le réflexe de la « médecine défensive », qui incite les médecins à multiplier les examens pour se prémunir d'éventuelles poursuites judiciaires. La médecine américaine est décidément bien éloignée du mouvement de déprescription et de pertinence des soins qui fait aujourd'hui office de modernité sur nos côtes. Les médecins qui tenteront l'aventure américaine goûteront au moins aux charmes de l'exotisme...

Trois questions à Élisa Chelle

Élisa Chelle est l’auteur de Comprendre la politique de santé aux États-Unis (Presses de l’EHESP, 2019). Pour elle, si le système de santé américain a de quoi séduire les médecins français, il ne faut pas oublier ses défauts structurels.

What’s up Doc. Dans votre livre, vous dites qu’un certain « modèle américain » continue à exister dans le secteur de la santé en France. En quoi ?

Élisa Chelle. Je ne parle pas de « modèle » au sens où le système américain serait exemplaire, mais au sens où il est imité. De la rémunération des médecins à la performance à la T2A [tarification à l’activité, NDLR], bien des choses ont été importées en France depuis les États-Unis.

WUD. Qu’est-ce qui pourrait séduire un médecin français dans ce modèle américain ?


ÉCh. La médecine reste une profession très lucrative aux États-Unis, surtout pour les spécialistes. Les médecins français peuvent également être attirés par les innovations technologiques. Mais il ne faut pas oublier les points noirs de ce système, à commencer par la judiciarisation croissante des relations médecins-malades. Cet exercice de la médecine est moins libre que beaucoup de praticiens le voudraient.

 

WUD. Qu’est-ce qui peut surprendre le plus un médecin français débarquant aux États-Unis ?

 ÉCh. De voir qu’il y a autant de bureaucratie qu’en France : aux États-Unis, celle-ci ne vient pas du secteur public, mais des compagnies d’assurances. Un autre trait de ce système est le caractère très commercial des services de santé : on voit là-bas des flux continus de publicité pour tout type de médicament, y compris sur ordonnance, et même en direction des médecins !

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