Journal de mort

Article Article

Ciné week-end : Madame Fang, de Wang Bing (sortie le 13 juin 2018)

Journal de mort

En 2015, le documentariste Wang Bing rencontre Mme Fang, ouvrière agricole qu'il compte filmer pour un documentaire qui ne se fera pas. Des mois plus tard, les enfants de Mme Fang le rappellent : l'état de leur mère, hospitalisée dans le cadre d'un Alzheimer, s'est brutalement aggravé. Elle est renvoyée chez elle afin de mourir en famille. Wang Bing décide de poser sa caméra auprès d'elle... Une expérience constamment dérangeante, constellée de moments fascinants mais hélas trop rares.

Il est des films qui durent à peine plus d'une heure mais dont le visionnage paraît bien plus long. Peut-être parce que, même médecin, on ne peut s'habituer à assister à l'agonie de quelqu'un. Encore plus quand il s'agit d'une expérience cinématographique. Dont le dispositif pose question au niveau éthique - il est clair que la femme qui est ici filmée ne pouvait exprimer un accord recevable.

Malgré tout, ce documentaire d'un cinéaste chinois révéré dans le monde entier recèle une forme de mystère, certes âpre et à la limite du répulsif, mais qui interroge les réactions, ou plutôt la sidération de l'entourage face à la mort de l'un des siens. Pas celle qui surgit, mais plutôt celle qui rôde, insidieuse, ôtant progressivement toute part de vie au malade. Si l'agonie de Mme Fang a quelque chose de fascinant, qui accapare le regard tout comme donne envie de s'en détourner, c'est bien l'observation minutieuse de la famille réunie autour du lit de mort qui retient l'attention.

Wang Bing prend son temps pour filmer alternativement de longues parties de pêche et ces séquences oppressantes, où la mort accomplit son oeuvre. Comme si cette famille de pêcheurs, face à une mourante qui ne meurt pas, partait pour ainsi dire à la pêche aux indices annonçant le moindre changement de son état. 

Confrontés à la mort, les sujets en état de stress aigu adoptent souvent des conduites machinales, répétitives et sans raison. La trivialité de certaines attitudes des membres de la famille, la banalité de la plupart de leus propos tranchent avec l'effroi que suscite ce progressif effacement au monde et en premier lieu à soi. Comme s'il fallait se raccrocher au réel dans ce qu'il a de plus nu pour éviter de se confronter à l'insupportable, car irrémédiable. On pourrait presque penser que chacun considère Mme Fang comme une affaire réglée. Pourtant, au moment ultime, la caméra saisit à une juste distance le surgissement de l'émotion. Et l'on est enfin à leur côté, plutôt que de côté...

Source:

Guillaume de la Chapelle

Les gros dossiers

+ De gros dossiers