«Interne choisie par Olivier Véran pour une mission ministérielle, à 30 ans, il y a eu des appels pour se plaindre de notre jeunesse et qu’on ne soit pas PUPH»

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Pauline Martinot, 30 ans, docteur en médecine et interne a été sélectionnée pour prendre en charge la mission ministérielle d’Olivier Véran sur la santé des jeunes. Cette mission qui s’est achevée en septembre, permettra de mettre en place des mesures concrètes pour la santé des jeunes. Entretien avec cette interne au parcours déjà riche.

 

«Interne choisie par Olivier Véran pour une mission ministérielle, à 30 ans, il y a eu des appels pour se plaindre de notre jeunesse et qu’on ne soit pas PUPH»

What's up doc : Pouvez-vous m’en dire plus sur cette mission ministérielle ?

Pauline Martinot : Nous avons été appelées, avec Aude, ingénieure, début juin 2021 par le Ministre de la Santé, Olivier Véran. Il nous a dit « Cela fait 40 ans que l’on essaie de communiquer auprès des jeunes en santé, les rapports s’accumulent. Dites-moi comment faire, je veux qu’il n’y ait aucun tabou et je veux du concret. Vous avez carte blanche et un rendu prévu dans 3 mois ». Nous avons donc réuni une équipe, et étions 12 jeunes au total. Nous avons utilisé une méthodologie de design thinking. Au lieu d’aller interviewer des grands chefs d’institutions, nous sommes allés sur le terrain, interviewer 70 jeunes et plus de 200 professionnels qui travaillent avec eux au quotidien et pour eux. On a réalisé des profils types en fonction de leur âge, lieu de vie… Nous avons ensuite construit tout un guide d’entretien avec toutes nos questions qui étaient autour de la santé des jeunes. Nous n’avons pas abordé l’accès aux soins mais les parties prévention et promotion de la santé.

Quels éléments se sont dégagés de cette mission ?

PM : Les deux éléments fondamentaux qui ressortent de la littérature scientifique pour être en bonne santé sont l’estime de soi, c’est-à-dire la valeur que l’on s’accorde. Et le fait de se sentir inclus dans un collectif ou dans une société. Ces deux éléments sont indispensables et répondent à la définition de l’OMS que l’on a voulu replacer au centre de notre projet.

Pourquoi vous et pas quelqu’un d’autre ?

PM : On s’est tourné vers nous pour plusieurs raisons. Aude avait travaillé sur une mission avec un des conseillers d’Olivier Véran. Lorsqu’il lui a proposé l’idée de la mission, mon nom est apparu et a été confirmé par plusieurs de ses conseillers pour plusieurs raisons, en plus d’être médecin de santé publique. La première : j’ai co-fondé Imhotep, une association qui fait des projets de promotion de la santé pour les jeunes, avec des artistes, des humoristes et des standuppers. Il y a une deuxième raison pour laquelle Olivier Véran avait entendu parler de moi, nous avons co-fondé Les Ateliers Mercure, un thinktank en santé, avec plusieurs internes. Les propositions faites grâce à ce think tank ont été bien accueillies et utilisées par le ministre et ses équipes.  J’en ai été la présidente pendant 2 ans. Ensuite nous étions quatre internes à être allés prêter main forte au ministère lors de la crise en 2020, où des conseillers avec lesquels j’ai travaillé m’ont recommandée.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le design thinking ?

PM : C’est issu du design c’est-à-dire penser utilisateur. Ici, en l’occurrence « comment les jeunes peuvent avoir plus confiance en eux, et à l’inverse, identifier ce qui les freinent. Ensuite, nous allons co construire des solutions avec eux, qui matchent avec leurs besoins et qui leur permettent d’avoir une meilleure santé. À partir des besoins du terrain, nous co-construisons des propositions.

Pouvez-vous nous citer quelques mesures concrètes ?

PM : Au total, nous avons fait 10 propositions comprenant 50 mesures. Elles vont de la « refonte » de l’école, basée sur le développement de l’estime de soi, à l’accompagnement de la parentalité (comme renforcer l’approche utilisateur de l’appli des 1000 premiers jours, ou traduire le carnet de santé dans toutes les langues parlées sur le territoire) et à l’association de moments festifs (festivals, etc) aux campagnes de communication positive en santé.

Parmi les mesures concrètes nous aimerions promouvoir la santé à travers des influenceurs et des évènements qui attirent les jeunes. Leurs donner des clés pour qu’ils aient confiance en eux.

Vous avez choisi la spécialité de santé publique en médecine, vous vous projetiez de faire une action globale comme celle-ci ?

PM : Pour moi c’était une grande surprise je ne m’y attendais pas du tout, surtout en étant interne. C’était une expérience incroyable. Avoir à mon niveau l’occasion d’interviewer autant de personnes de qualité, partout, sur un sujet qui m’est cher.  

Aviez-vous le Ministère en vue quand vous avez choisi l’option santé publique ?

PM : J’ai choisi santé publique car je pensais pouvoir mettre beaucoup d’énergie pour changer l’organisation actuelle de l’hôpital public.  J’ai fait beaucoup de stages à l’étranger et à chaque fois, j’ai pu voir comment on exerçait au Canada, aux Etats-Unis, en Nouvelle Zélande et en Uruguay. Je n’ai pas d’ambition à titre personnel mais une ambition pour le système de santé de mon pays et pour la qualité de pratique de mes collègues internes dans les hôpitaux. C’est pour cela que j’ai co-fondé un thinktank et une association qui permettent de réunir plein de gens motivés, de milieux et spécialités différents, qui ont un impact à chaque échelon de la société.

Que ramèneriez-vous en France de ce que vous avez vu à l’étranger ?

PM : Il n’y a pas un pays avec un meilleur système de santé qu’un autre. Les déserts médicaux touchent tous les pays du monde entier, même les États-Unis, où il y a énormément de moyens. Une autre chose qui m’a surprise : les taux de suicides et le mal être à l’hôpital sont équivalent entre le Danemark, la France, les États-Unis et le Canada… alors qu’ils ont plus de moyens que nous. C’est le fait de faire face à la mort et à la maladie constamment depuis nos 18 ans et le fait aussi d’avoir un manque d’esprit d’équipe qui semblent être responsables de notre mal être à l’hôpital. Ce sont des éléments qu’on oublie mais qui font que l’on vit mal nos moments à l’hôpital en tant que soignants. Une des idées, intéressante en Nouvelle Zélande et en Angleterre, à chaque fois que l’on arrive à l’hôpital que l’on soit interne ou étudiant, une personne de l’équipe, appelé un « Buddy », est notre mentor, et nous présente à toute l’équipe, s’occupe de notre intégration pour faire en sorte que l’on se sente bien quelle que soit la durée de notre séjour. Ce côté « esprit d’équipe » est très développé là-bas. Autre exemple, en Nouvelle Zélande, il est interdit de faire des gardes de plus de 12 heures dans n'importe quel métier de la santé. Pour 24 heures de garde il y a donc deux personnes. Cela a complétement diminué le fait qu’il y ait des erreurs médicales et des accidents de la route en rentrant chez eux.  

Comment voyez-vous le futur, envisageriez-vous de travailler au ministère ?

PM : C’est la grande question, normalement je termine mon internat au mois de novembre 2022 et mon doctorat de neurosciences. Je me pose la question de m’investir dans l’éducation et d’y intégrer une branche santé. Je ne sais pas si je reste dans le monde de la recherche, si je continue dans le Conseil scientifique de l’éducation ou si je pars au Canada ou en Suède, chercher de bonnes idées et les ramener en France ensuite.

Cette spécialité permet de travailler dans des ministères, à l’OMS, dans les entreprises ou en startup. J’ai adoré construire des projets avec de nombreuses personnes qui se rassemblent autour de projets communs. Une autre piste serait qu’avec Imhotep nous construisons une stratégie de communication autour d’une partie des Jeux paralympiques et olympiques de Paris 2024 : nous aimerions qu’à l’intérieur des JO on puisse parler de promotion de la santé mentale. Par exemple « comment les athlètes font pour gérer leur stress avant une énorme compétition. Garder confiance en eux alors qu’ils ont raté l’épreuve qu’ils ne devaient pas rater et pour laquelle ils s’entrainent depuis 4 ans. » Faire en sorte que les jeunes apprennent de cette grosse visibilité des JO. Sinon j’ai une possibilité de travailler dans l’ONG d’Ester Duflo, prix Nobel d’économie, avec laquelle je travaille en ce moment sur la réduction de la pauvreté et la petite enfance.

Le fait que vous soyez jeune a été un obstacle ou un atout ?

PM : Les deux ! D’un côté, nous avons eu carte blanche et nous avons surpris les administratifs et l’équipe du ministre par notre travail et notre méthodologie. Le ministre a adoré « la fraicheur » de notre rapport. Nous avons eu une beaucoup de compliments et de retours valorisants sur ce travail. À l’inverse nous avons été pas mal discriminés car jeunes donc « inexpérimentés », on a été évincés d’un congrès au dernier moment, il y a eu des appels au ministre pour se plaindre qu’on ait été choisis et pas des experts en santé ou PUPH dans le domaine. Par ailleurs, dans les premiers communiqués de presse, les administratifs avaient par exemple oublié notre titre de docteur avec Aude. Pour autant, au lieu d’adopter la posture de sachants, on a voulu donner une voix aux jeunes qu’on a interviewés. Et leurs idées et propositions sont incroyables et pragmatiques ! Ça en valait la peine.

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