Guerre intestine

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Ciné week-end: Hungry Hearts, de S. Costanzo (sortie le 25/02/2015)

Guerre intestine

Hungry Hearts commence comme une comédie de Woody Allen pour très vite bifurquer vers du Polanski, époque Répulsion et surtout Rosemary's Baby. Le réalisateur ne cache d'ailleurs pas l'influence que les oeuvres de jeunesse de ces deux immenses cinéastes ont eu sur ce film, de par les thèmes choisis et surtout l'art de filmer (la façon dont il investit les lieux, l'immensité de New-York puis l'étroitesse de cet appartement à l'originalité suspecte, lui permet de s'inscrire dans une continuité cinématographique fascinante).

Le décalage entre le comique de la première scène et l'inquiétude sourde évoluant crescendo vers la terreur franche du reste du film peut surprendre. Et pourtant...Les deux amoureux se retrouvent coincés dans des toilettes...lieu qui deviendra l'Enfer, le terrain de guerre de ce couple attachant. Evoluant vers le huis clos oppressant, le film décrit jusqu'à la nausée la prise de pouvoir folle d'une jeune mère sur le corps de son fils, via l'alimentation. Et les efforts constants du père, oscillant entre diplomatie - au risque d'entretenir le délire orthorexique de sa femme - et insurrection, l'installent dans une ambivalence qui finira par être fatale. La dernière partie du film, inattendue, ainsi que le dernier coup de théâtre embarquent le film vers une horreur dont le côté grand guignol est d'autant plus assumé qu'il rejoint par ses excès le burlesque du tout début, bouclant la boucle d'un film innervé par les pulsions pré-oedipiennes.

Hungry Hearts illustre d'une certaine façon le lien entre anorexie et délire chronique. Les rituels autour de l'alimentation du bébé, mais aussi les manoeuvres compensatoires à base d'huiles laxatives sont filmés de façon clinique comme autant de symptômes de ce trouble du comportement alimentaire par procuration. Si la narration épouse le parti pris - logique et évident - de Jude, la fragilité et la rêverie véhiculées par le personnage de Mina et portées bout en bout par le jeu subtil d'Alba Rohrwascher brouillent les pistes. Père courageux et rationnel contre mère paranoïaque et toxique? Pas si simple, semble nous dire Saverio Costanzo. Jude croira jusqu'au bout en la force du lien qui l'unit à Mina mais ne trouvera comme issue que le retour à une emprise maternelle dont il avait pourtant réussi à s'échapper jusqu'alors. Le rêve prémonitoire de Mina - également symptôme d'entrée dans sa décompensation psychotique - n'est-il pas une illustration du drame à venir, issu de la collision entre deux toutes puissances maternelles?

Source:

Guillaume de la Chapelle

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