Grand Est : "Ce qui m’inquiète, c’est qu’on soit obligés de choisir entre les patients"

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Les réanimations dans la région Grand Est seraient saturées selon Dr Jean-Philippe Mazzucotelli, chef de service de chirurgie cardiaque au CHU de Strasbourg, qui est revenu pour WUD sur la situation qui se dégrade de jour en jour.
 

Grand Est : "Ce qui m’inquiète, c’est qu’on soit obligés de choisir entre les patients"

Nous vous annoncions ce jeudi 12 mars que les réanimations de Belfort, Besançon, Mulhouse et Colmar seraient saturées, tandis que la quasi-totalité des chirurgies programmées à Strasbourg auraient été arrêtées, selon le collectif inter-hôpitaux (CIH). L’information avait été transmise par un membre du CIH, le Dr Jean-Philippe Mazzucotelli, chef de service de chirurgie cardiaque au CHU de Strasbourg. Celui-ci a en parallèle envoyé un courrier (lire en fin d’article) au ministère de la Santé pour lui dire que « notre situation était dramatique et qu’il fallait envisager rapidement de nous donner des moyens ».
 
Contacté ce vendredi 13 mars par WUD, le médecin a confirmé la situation. : « On a des contacts avec nos collègues de la région. Aujourd’hui, dans le Grand Est, tout le monde est complètement saturé ». En particulier à Strasbourg où « on est obligés d’arrêter toutes nos activités, y compris de chirurgie lourde ».
 
L’hôpital aurait annulé plus d’une vingtaine de patients alors qu’il en reçoit en moyenne une vingtaine par semaine. Et ce n’est qu’un début, selon Jean-Philippe Mazzucotelli. « On est en train de fermer des unités de médecine, mon unité de chirurgie cardiaque a été fermée pour moitié, pour récupérer des infirmières et les injecter dans les réanimations, pour ouvrir des lits qui sont fermés ».

Strasbourg saturée ce week-end

Selon lui, les réanimations des deux hôpitaux de Strasbourg sont « pratiquement à saturation ». Il resterait encore quelques lits de réanimation dans l’un des deux hôpitaux, mais, ce week-end, « tous les lits de réanimation existants seront comblés », pronostique le médecin. L’établissement s’organise donc pour ouvrir des lits de réanimation dans des secteurs qui ne sont pas prévus pour ça : salles de réveil, unités de soins continus, unités de soins intensifs de cardiologie…
 
Sur Strasbourg, les réanimations des hôpitaux sont remplies de patients, selon le médecin : « La réanimation médicale dans le nouvel hôpital est pleine de patients Covid-19. Il y a 24 patients qui sont hospitalisés en réa. On essaye désespérément de rouvrir 6 lits supplémentaires dans cette réanimation, mais pour l’instant, on n’a pas encore trouvé les infirmières... »
 
Quand on évoque la déclaration du ministère de la Santé qui a affirmé que la France disposait de 5 000 lits de réanimation dans les hôpitaux pour les patients dans un état grave, Jean-Philippe Mazzucotelli relativise : « Non seulement, il faut avoir les lits, mais il faut aussi le personnel et le matériel, et donc il faut injecter les moyens pour pouvoir ces lits de réa. » Or, pour l’instant, le gouvernement n’a pas fait d’annonces à ce sujet. 

À quand des moyens ?

« Dans son discours d’hier, Emmanuel Macron n’a avancé aucun chiffre. Donc, on est actuellement en train de faire la liste de matériel nécessaire (notamment des respirateurs pour ventiler les patients infectés, NDLR) pour essayer de créer de nouveaux lits de réanimation. À priori, le paiement de ces matériels sera accepté. Pour l’instant, on n’a pas d’obstruction par rapport à ça, mais on ne sait pas ce qu’il va se passer réellement dans les faits… », nous a confié le médecin.
 
Par ailleurs, les réanimations de Belfort, Besançon, Mulhouse et Colmar seraient bel et bien saturées, selon le médecin : « On reçoit par exemple des patients des réanimation de Colmar et de Mulhouse, donc on peut supposer qu’ils sont dépassés. De plus, Besançon et Colmar sont en plan blanc, ce qui veut dire qu'on arrête toutes les activités pour se recentrer sur l’épidémie, ce qui est la preuve que les réanimations sont saturées. »
 
Quand on lui demande si cette situation l’inquiète, le médecin réagit de la manière suivante : « La seule chose qui m’inquiète, c’est qu’on soit obligés de choisir qui on va soigner et qui on va laisser mourir, de choisir entre un patient de 50 ans qui a une urgence cardiaque et un patient de 50 ans qui a une infection respiratoire à Covid-19 ».

Bientôt comme en Italie ? 

C’est pourtant déjà ce qui se passe en Italie. Mais ce n’est pas encore le cas dans le Grand Est, « en dehors des patients les plus âgés. Au-delà de 90 ans, on ne fera plus de réanimation comme on pourra le faire pour quelqu’un de plus jeune. Donc on fait déjà des choix, mais ce sont des choix de bon sens, et pas des choix de nécessité », précise Jean-Philippe Mazzucotelli.
 
Pour le reste, « s’il faut travailler 24h/24 on le fera, s’il faut se réorganiser, quelle que soit la forme de l’organisation, les lieux de prise en charge des patients, cela n’a finalement peu d’importance. »
 
Ok, ok, mais dans quel état d’esprit sont les médecins qui sont confrontés à cette situation à Strasbourg ? « Il y a une certaine forme d’inquiétude, admet le médecin. Mais on est confrontés à ces problèmes de prise en charge de malades urgents et lourds quotidiennement, c’est notre métier. On a un peu d’inquiétude, mais pas plus que ça, on n’est pas du tout en panique. »
 
Pour l’instant tout va bien. Mais l’important, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage…

 

Un courrier envoyé au ministère de la Santé
Dans un courrier adressé le 12 mars au ministre de la Santé, Jean-Philippe Mazzucotelli, Jean-Claude Matry, le président CFTC des HUS (Hôpitaux universitaires de Strasbourg), et Vanessa Ruhlmann, la présidente de l’association Optim’AVC, alertent sur « les risques sanitaires encourus par la population du GHT 10 dans le Grand-Est ainsi que par le personnel médical et para-médical au sein des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS) ». Et de rappeler que la région Grand-Est est la plus touchée tandis que la France est l’un des pays les plus touchés en Europe. Pour les auteurs du courrier, « les conditions de prise en charge des patients sont « actuellement fortement dégradées du fait de la politique d’austérité instaurée depuis 4 ans aux HUS (exemple : 100 postes d’infirmier(e)s non pourvus) ». Et d’ajouter que « nous sommes d’ores et déjà dans une situation extrêmement critique avec des réanimations saturées nécessitant une déprogrammation des interventions de chirurgie lourde, en particulier de chirurgie cardiaque ». Enfin, si le stade II « renforcé » a été récemment déclaré dans le département du Haut-Rhin, « le stade III aurait dû être annoncé pour l’Alsace et non un stade II renforcé qui semble un non-sens », poursuit le courrier qui demande le déclenchement du stade III pour la région Alsace et le soutien du gouvernement et de l’ARS Grand-Est pour « renforcer les moyens humains et matériels dans l’unique objectif d’éviter un désastre sanitaire ».

 

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