Flambée de famille au grand Marnier

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Critique de "L'Origine du Mal" de Sébastien Marnier (sortie le 5 octobre 2022)

Flambée de famille au grand Marnier

Une femme aux abois espère sortir de la précarité en se rapprochant de son père, homme excessivement riche qui ne l'a jamais reconnue. Contre toute attente, celui-ci l'accueille à bras ouverts et l'installe chez lui, au grand désarroi de la famille officielle, une galerie de femmes hautes en couleur qui semblent toutes liguées contre lui. Et si le ciment de la famille, c'était le Mal? A partir d'un univers ultra-référencé et d'un matériau quasi-mythologique, Sébastien Marnier compose sur une trame virtuose, un récit haletant aux résonances très actuelles.

Sébastien Marnier conjugue un goût certain pour les grands classiques du cinéma de genre à l'aspiration d'ancrer solidement ses films dans une actualité. Ainsi, L'heure de la sortie affiliait une bande d'adolescents éco-anxieux à une lignée de cinéma prestigieuse et inquiétante, évoquant immanquablement Le village des damnés. Avec L'Origine du Mal, titre évoquant Chabrol et Orson Welles, son ambition monte d'un cran, tant il s'attaque à un filon inépuisable, celui des secrets et des haines de famille. Mais c'est pour mieux déconstruire - processus à l'actualité on ne peut plus brûlante - les concepts anciens, y insuffler une modernité post #metoo.

Cette déconstruction s'applique à la mécanique-même de l'intrigue, qui se retourne en doigt de gant au milieu du film en un double mouvement pervers, laissant apparaître les enjeux réels qu'il est difficile de développer sans prendre le risque de spoiler. Tout juste dirons-nous que ceux-ci font écho à deux aspirations très actuelles, le besoin de s'extraire de la toxicité masculine autant que celui de connaître ses origines. En développant les dérives auxquelles ceux-ci exposent, Marnier signe un film double, aux faces constamment connectées, plongeant une Laure Calamy, héroïne de film noir et social au cordeau, dans un univers baroque et outrancier évoquant l'âge d'or des films hollywoodiens à la méchanceté toute camp - l'impériale Dominique Blanc prenant un plaisir jubilatoire et communicatif à jouer les Bette Davis.

C'est cependant par delà cette foire aux cruautés et ces décors kitsch à la vulgarité assumée que réside l'intérêt de L'Origine du Mal, dont l'intrigue et l'émotion se déploient de façon souterraine et silencieuse, telles un passage secret vers l'âme de ses personnages. Avec l’idée fascinante que ce qui fonde et lie une famille est bien plus ce secret que la biologie. Marnier doit d'ailleurs beaucoup à Laure Calamy, qui sait se faire plus discrète qu'à l'accoutumée dès que le film le justifie : sa constante intelligence de jeu permet au fil directeur que son personnage constitue de ne jamais se rompre, résistant aux surenchères scénaristiques et le maintenant à la frontière de l'inquiétant, du tragique et du comique.

L'un des personnages du film est atteint de syllogomanie : on pardonnera ainsi au réalisateur d'avoir lui-même cette tendance, d'accumuler les idées et les rebondissements de façon aussi pléthorique que le décor encombré de la villa dans laquelle évoluent les protagonistes, tant cela finit par servir le propos - l’époque est propice à se perdre soi-même, jusqu’au vertige - et traduit son envie immodérée de cinoche. Par les temps qui courent, c'est plus que stimulant.

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