Fanon sans source - Critique de « Fanon », de Jean-Claude Barny

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Hôpital de Blida-Joinville, Algérie française, plusieurs années avant les « événements ». Le Dr Frantz Fanon, psychiatre fraîchement nommé, bouscule l'ordre établi, qui veut notamment que les patients autochtones soient ségrégués au sein de leur propre service. Héritier de la négritude d'Aimé Césaire et de la psychiatrie institutionnelle, doublée d'un esprit de résistance, de François Tosquelles, il va faire de son engagement auprès des patients un acte politique...

Fanon sans source - Critique de « Fanon », de Jean-Claude Barny

Alexandre Bouyer dans Fanon de Jean-Claude Barny.

© DR.

Une personnalité extraordinaire sur laquelle ce biopic se repose de trop, au détriment de l’ambition cinématographique et d'une véritable introspection de l'homme derrière la pensée.

Découvrir une pensée en action et une action en pensée, dans leur dimension la plus brute, assister à une trajectoire politique dans un contexte historique passionnant, a toujours quelque chose de frustrant quand le support est loin d'être à la hauteur du contenu. Ainsi en est-il de ce film qui n'a pas les moyens financiers et techniques d'être la fresque historique vers laquelle ses choix narratifs le dirigeaient. Systématisme de l'utilisation de la musique comme support narratif, son médiocre, personnages et intrigues secondaires bâclés, direction d’acteurs inexistante, survol de trop nombreux thèmes qui, si chacun est passionnant en lui-même, en viennent à jouer contre le film, créant le paradoxe d'une oeuvre qui à la fois se traîne et est vite expédiée... 

« Ce film n'a pas les moyens financiers et techniques d'être la fresque historique vers laquelle ses choix narratifs le dirigeaient »

Les motifs de déception sont nombreux. Aux dépens de moments très forts, sur lesquels le réalisateur choisit de ne pas s'arrêter plus que cela, notamment les scènes à l'intérieur-même de l'hôpital, cette « libération » des « aliénés » par Fanon lui-même, qu'annulera symboliquement et rétrospectivement une glaçante descente armée. Il y avait déjà tant à dire et à montrer sur le rôle social voire politique du psychiatre, mais aussi sur l’institutionnalisation comme reflet autant que projet sociétal.

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Il est également dommage que le film se heurte à ce point au matériau brut que constitue la pensée de Fanon, incarné par un Alexandre Bouyer marmoréen. Intelligible, voire limpide, elle aurait gagné à être servie par une investigation plus poussée, biographique ou psychologique. Les brèves références à l'enfance sont ainsi particulièrement simplistes. Pourtant, quand le film s'achève sur les paroles de cet homme encore jeune, à la vie si foisonnante, que l'on enterre, quand il évoque par une seule phrase le suicide, tardif, de sa femme, bref quand il prend enfin possession de son propre récit, l'on songe à ce que le film aurait dû être : non pas une simple évocation de la pensée de l'homme, mais un accès à sa source, c’est-à-dire son âme. 

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