Etre et à boire

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Critique de "Drunk, de Thomas Vinterberg (sortie le 14 octobre 2020). 

Etre et à boire
Quatre profs de lycée, rattrapés par la perte de sens et la monotonie de leurs vies, décident de prouver la théorie d'un psychologue scandinave selon laquelle l'homme présenterait un déficit constitutionnel en alcool dans le sang ! Chargés toute la journée, leur vie le sera-t-elle moins? On vous laisse vérifier...

Thomas Vinterberg est de retour. Si son dernier opus n'a pas la force dramatique de Festen ou de La Chasse, le réalisateur reste maître dans l'art de mêler corrosivité et tendresse, de capter l'homme dans ses fragilités et ses tentatives de rester debout, digne quand cela est possible. Il y a dans ce portrait de quatre hommes abîmés par la vie à des degrés divers une volonté de retourner à un cinéma authentique, où seuls comptent une bonne histoire et ceux qui la vivent. Un hommage au film de potes des années 70, où l'insouciance aurait cédé le pas à la désillusion. Emaillé de scènes d'une drôlerie absurde et de moments émouvants voire déchirants, le film réussit néanmoins à garder une solide unité, à l'image du cinéaste qui, avec les années, semble avoir atteint un bel équilibre.

Dans un monde où tout est régi par la performance, le contrôle et l'injonction à l'épanouissement, l'ivresse peut être vue comme le dernier refuge de l'imprévisibilité et de l'inattendu. Le moment où la vie, en somme, peut commencer. C'est pourtant en se basant sur une illusion de contrôle, qui est le propre de l'addiction, que ces quatre professeurs un peu losers décident de corriger le manque d'attrait qu'a revêtu leur vie. En apprentis psychologues expérimentaux, voilà qu'ils se mettent à doser leurs apports nécessaires en alcool supposés leur permettre de corriger un hypothétique déficit constitutionnel , à souffler dans un alcootest dès qu'ils en ont l'occasion, gagnés au final par une nouvelle forme d'obsession, simple variante des précédentes. Les résultats dépassant leurs espérances, ils décident d'enrichir l'expérience et de la conduire vers une dimension quasi-nihiliste, en écho à leur perte progressive de contrôle.

Très didactique, le film est séquencé sous la forme d'étapes de leur protocole expérimental, comme pour mieux illustrer la progression du processus addictif (usage-abus-dépendance). Et nos quatre mâles, véritable panel de la masculinité, concept déclinant, illustrent chacun un tableau clinique différent, une trajectoire distincte. C'est cela qui permet à Vinterberg de faire le grand écart entre la comédie de caractères et la tragédie à l'état pur. Ainsi, l'initiateur du projet est-il aussi le plus immature et, en apparence, le plus protégé par rapport à la pathologie addictive : bobo assez insupportable au garde-à-vous de son épouse modèle, l'alcool constitue pour lui un moyen facile, presque un simulacre, de rebellion - sous la forme de cocktails mondains, chassez le naturel... Les trois autre comparses sont traités de façon plus tendre, pas seulement en raison de failles plus apparentes, mais probablement aussi parce que chacun semble avoir à cœur de bien faire son métier, de transmettre à ses élèves, de les aider quand ils le peuvent. 

C'est évidemment le rôle interprété par le toujours excellent Mads Mikkelsen qui est le plus développé. L'acteur n'a jamais été aussi sobre - un comble - ce qui lui permet d'apporter à ce professeur qui réalise qu'il est devenu inintéressant une simplicité désarmante, mais dont le côté taiseux, allié à l'ambiguïté naturelle de l'acteur, nous fait pressentir des tourments insondable. Il faut le voir côtoyer l'abîme puis très progressivement revenir à la vie, l'accepter dans toutes ses dimensions, jusqu'à une magnifique scène finale que notre triste actualité éclaire d'une dimension supplémentaire. C'est lui qui donne le tempo du film, qui y impulse un élan de vie, malgré les échecs et les renoncements, malgré la finitude. L'ivresse n'est qu'une parenthèse, une façon de refuser le temps. La vie...c'est le reste.

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