En finir avec Eddy Moreau

Article Article

Ciné week-end:

En finir avec Eddy Moreau

Après avoir été violemment agressé dans la rue, un jeune prolo au bord de l'exclusion croit reconnaître parmi ses agresseurs un jeune Maghrébin aperçu dans un tout autre contexte. Nous laissant volontairement dans le flou concernant le moment où Eddy réalise sa méprise et les raisons qui le poussent à revenir enfin sur sa parole (ultime courage ?, énième lâcheté pour récupérer les siens ?), Finkiel se focalise sur les processus à l'origine du gangrénement de son identité sociale et familiale.

"Fable: court récit (...) qui vise à donner de façon plaisante une leçon de vie" (Wikipédia).

Au vu de la longueur et de l'extrême souffrance que constitue le visionnage de ce film, on pourrait difficilement le qualifier de fable. Pourtant, la volonté abusive de "faire" réel, de s'éloigner de l'allégorie, associée à une évidente dimension morale, finissent par ériger le personnage d'Eddy Moreau en archétype, en héros d'une fable extrêmement noire. 

La caméra de Finkiel semble être le prolongement d'un cerveau profondément dépressif. Elle ne permet aucune échappatoire, aucune trouée de lumière au sein de l'étouffante sinistrose contemporaine qu'elle décrit. Les personnages, et surtout l'anesthésie affective semblant gouverner leurs rapports, ne nous laissent aucune marge d'empathie. Mis en parallèle avec la fin, glaçante et insoutenable, ce procédé était cependant inévitable pour rendre crédible la descente aux enfers d'Eddy.

L'exposition est beaucoup trop longue, et le film ne trouve sa puissance que dans son dernier tiers, quand enfin Eddy tente d'inverser l'ordre des choses. Et se heurte à l'irrémédiabilité de sa faute, mais également de la machine à broyer qui s'est elle-même enclenchée suite à cela. Les régulateurs d'une société à ce point débordée, pulsionnelle et désincarnée ne semblent plus capables de contenir grand chose. On peut surtout y voir une dénonciation des mécanismes sociaux et intimes aboutissant à la reconstruction identitaire – forcément viciée au regard d'un narcissisme si fragile – d'Eddy de par son statut de victime, et accélérant sa spirale d'exclusion et de destruction dès lors que ce statut lui est arraché voire refusé, d'une façon aussi soudaine et excessive que la bienveillance compatissante qu'on avait daigné lui accorder pour mieux l'enfermer dans des bénéfices secondaires.

C'est grâce à cet aspect pamphlétaire, et à la puissance de jeu sidérante de Duvauchelle qui parvient à nous faire ressentir la complexité immense de son personnage de loser en perdition, que "Je ne suis pas un salaud" reste, au-delà de l'assommoir que constitue son visionnage, un film nécessaire.

Source:

Guillaume de la Chapelle

Les gros dossiers

+ De gros dossiers