Douleur projetée

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Ciné week-end: Fatima, de P. Faucon (sortie le 7 octobre 2015)

Douleur projetée

Ainsi l'automne cinématographique de 2015 aura été marqué par deux prénoms féminins. Le premier, film à costumes somptuaire époumonné tambour battant par l'actrice la plus populaire du paysage français. Le second, portrait épuré et susurré d'une femme en quête non pas d'identité mais de place, porté par un visage inconnu. A Marguerite, dont l'effleurage est pourtant souvent délicieux, nous avons préféré l'humilité et l'humanité de Fatima, dont nous n'aurions pas entendu parler sans les bons conseils d'une collègue aux goûts toujours sûrs. 

Fatima enchaîne les ménages pour pouvoir offrir une perspective à ses filles: Nesrine, solaire et mesurée, entame sa première année de médecine emplie de doutes et d'appréhension, tandis que Souad, volcanique et révoltée, se désintéresse de plus en plus de sa scolarité. Chacune, par ses réactions, va confronter Fatima à ses blessures les plus intimes, à sa hantise de constater que son maintien, à la fois volontaire et subi, à la marge de la société française se solde par une impossibilité, chez ses filles, d'intégration et de réussite, mais aussi par un effacement pur et simple de son utilité et de son identité.

C'est un très fort message que de suggérer que cette reconquête de soi constitue le terreau indispensable à une transmission filiale, et ce message nous est délivré sans révolte ni violence, avec une telle humanité et une telle subtilité d'analyse sociologique qu'il restera longtemps ancré dans notre mémoire. Mais la plus belle idée est sans doute d'avoir fait d'une douleur authentiquement psychosomatique le vecteur de cette prise de conscience, et d'un cabinet de médecine du travail le berceau d'une parole fondatrice jusque là couchée en arabe sur un journal intime. Parole libératrice qui permettra de rendre naturelle et décomplexée l'émancipation de Nesrine et, peut-être, celle de Souad...

En cette période trouble et tentée par le repli sur soi, c'est peu dire que nous recommandons ce film que nous avions toutes les chances de rater mais qui s'est imposé à nous.

Source:

Guillaume de la Chapelle

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