Une mère infirmière, un père vétérinaire et trois enfants sur quatre devenus médecins. Dans la famille Remoué, le soin imprègne sans conteste la culture familiale. Mais c'est par hasard que la dimension judiciaire va s'installer dans le parcours professionnel de Jean-Emmanuel Remoué. « Après mes études de médecine, j'hésitais entre la chirurgie et la médecine générale, se remémore-t-il. Un confrère m'a rappelé qu'il existait d'autres voies moins connues comme l'expertise médicale. J'ai entamé une formation à la médecine légale que j'ai adorée, ce qui m'a convaincu de passer le Diplôme d'Études spécialisées Complémentaires. »
Fraîchement diplômé, Jean-Emmanuel Remoué arrive à St Lô en novembre 2010 après une thèse sur l'imagerie post mortem. Aucun poste n'est à ce moment-là disponible au CHU de Caen. Mais la réforme de la médecine légale, qui doit entrer en vigueur le 15 janvier 2011, lui offre une alternative. Ce nouveau schéma directeur prévoit « la création ou le maintien sur le territoire national de structures hospitalières dédiées aux activités médico-légales ».
« Nous avons eu l'idée de concevoir un service de proximité sur le département de la Manche, explique Jean-Emmanuel Remoué. C'est ainsi qu'est née l'unité médico-judiciaire (UMJ) de St Lô qui agit sur réquisition judiciaire auprès de victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques et parfois de mis-en-cause. »
Une consultation en accès libre
À cette UMJ, Jean-Emmanuel Remoué souhaite tout de suite adjoindre une consultation en accès libre, anonyme et confidentielle, pour des personnes victimes de violences. « L'idée était de leur permettre de s'exprimer sur ces actes auprès d'un service spécialisé, en dehors de toute démarche judiciaire, explique-t-il. Elles en repartent avec un certificat médical qui peut être utile en cas de plainte. ». Si les violences peuvent relever du harcèlement professionnel ou du conflit de voisinage, le Dr Remoué ne cache pas que les violences conjugales constituent bien le cœur du projet. « Cette problématique a été peu abordée lors de mes études, reconnaît-il. J'ai appris les mécanismes des violences exercées sur les femmes grâce à des formations et des lectures. »
Au départ, Jean-Emmanuel Remoué est seul à la tête de l'UMJ pendant trois jours par semaine. En plus des examens sur réquisition, il effectue un minutieux travail de terrain afin d'expliquer l'intérêt de la consultation libre aux brigades de gendarmerie, aux commissariats et aux associations. « Ma crainte de jeune médecin était que rien de tout ça ne fonctionne, reconnaît Jean-Emmanuel Remoué. J'avais deux années devant moi, le temps du contrat, pour démontrer qu'un besoin existait bel et bien. » Peu à peu, la preuve est faite. L'UMJ est forte à présent de deux médecins supplémentaires, de deux psychologues à mi-temps et d'une secrétaire. En 2019, 1600 examens sur réquisition judiciaire ont été effectués, tandis que 300 personnes sont passées par la consultation libre.
Aider les femmes victimes de violences conjugales
Pour autant, Jean-Emmanuel Remoué ne s'estimait pas complètement satisfait. « Je me rendais compte que certaines victimes de violences conjugales ne portaient pas plainte après nous avoir consultés, précise-t-il. J'ai donc réfléchi avec la déléguée départementale aux droits des femmes à la manière de perfectionner notre accueil. » Si le secret professionnel s'impose à tout médecin, il existe tout de même des dérogations prévues par l'article 226-14 du code pénal s'appliquant à « un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ». La troisième, « moins connue et sous-utilisée » selon le Dr Remoué, est celle des victimes majeures qui donnent leur accord au médecin.
Depuis avril 2018, l'UMJ a donc mis en place le dispositif Envol (Espace Normand de Victimologie à Orientation Libre) qui permet à un médecin de l'équipe de faire un signalement au procureur de la République de Coutances à la place d'une victime de violences conjugales. Il est accompagné d'un rapport d'examen médical des violences physiques, sexuelles ou psychiques constatées. Une cinquantaine de femmes ont porté plainte grâce à ce dispositif.
Seul problème : l'activité de l'UMJ n'est pas rentable. Une autre des missions de Jean-Emmanuel Remoué est donc d'aller régulièrement à la pêche aux subventions. Si ce n'était cette pression de trouver les moyens de pérenniser son action, il serait satisfait de son sort. « C'est passionnant d'être le trait d'union entre la médecine et la justice en leur apportant un œil à la fois technique et humain, reconnaît-il. Car aucun bon rapport ne peut faire l'impasse sur la dimension émotionnelle. »