Breaking Good

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Ciné week-end: La Loi du Marché, de S. Brizé (sortie le 19 mai 2015)

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Souffrance au travail, souffrance du chômage, déshumanisation et absurdité des processus de retour à l'emploi (formations inutiles, entretiens humiliants...), course au profit...La Loi du Marché aborde des thèmes familiers, par une mise en scène familière (on pense évidemment aux frères Dardenne), et une absence de trame scénaristique. On assiste à une superposition neutre de scènes les plus banales possibles, apparemment sans réelle progression dramatique, sans effet de manche. Une tranche de vie. Où les moments les plus lénifiants ne sont pas occultés, parfois étirés à l'extrême. Ce dénuement presque excessif est au cœur du dispositif voulu par Stéphane Brizé, car c'est à retardement qu'explose l'impact - durable - que provoque sa très (in)juste Loi du Marché. 

Tour de force voire tour de magie, le film distille une intensité émotionnelle qui croît au fur et à mesure que son personnage, qu'habite magnifiquement Vincent Lindon, semble s'éteindre. Les premières scènes nous montrent un Thierry réactif, combatif bien que lucide, qui argumente, justifie...et qui ne plie pas face aux diverses humiliations auxquelles il est confronté - la séance où des chômeurs sont amenés à critiquer son entretien d'embauche filmé est d'une rare violence dans ce qu'elle dit d'une déshumanisation programmée par un système impuissant ou complice dont le seul effet semble être d'engendrer un cannibalisme pervers, chaque individu se laissant aller à atteindre la confiance en soi de son voisin pour tenter de préserver la sienne.

Dès lors que Thierry trouve enfin un travail, vigile dans un supermarché, il sombre peu à peu dans le silence et ne sera quasiment filmé que de dos, ou dans un profil fuyant. Déjà peu expansif, il ne montre plus aucune émotion. Il n'est pas là pour ça. Il survit. Il assiste, impuissant, à un système encore plus pervers que celui auquel il vient d'échapper. Auparavant l'humain était nié, il est maintenant tout simplement éliminé. Mais le système, lui, demeure: c'est par leurs propres collègues que les employés "déficients" se font piéger, permettant aux dirigeants de les achever à peu de frais dans une impunité d'autant plus horrible qu'elle n'est armée que par une lâcheté généralisée. 

Bien que dramatique, on taira le seul ressort scénaristique du film, amené sans crier gare. C'est devant l'absence d'une possibilité de remise en cause de ce système que Thierry finira par partir, sans éclat, sans même un mot. Son acte est à la fois un immense cri de révolte et un terrible aveu d'impuissance. Un trou noir émotionnel et une déflagration sourde. Une dignité retrouvée et un espoir perdu. Il englobe à lui seul, et en quelques secondes, la complexité du monde. Sombre magie d'un film qui commence en fait une fois qu'on a quitté la salle.

Source:

Guillaume de la Chapelle

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