Big Data : prévenir pour mieux guérir ?

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Comment le Big Data peut-il améliorer l'offre de soins et de prévention, mais aussi la prise en charge dans les territoires ? Deux spécialistes de la question ont apporté des pistes éclairantes hier matin, lors d’une conférence à Paris healthcare week.

Big Data : prévenir pour mieux guérir ?

« Aujourd’hui, tous les systèmes de santé doivent faire face aux défis suivants : une transition épidémiologique qui correspond au passage de pathologies aigües à des pathologies chroniques, mais aussi une transition démographique et écologique. Tout s’accélère, mais l’on assiste dans le même temps à des progrès spectaculaires en termes de systèmes d’information », constate Antoine Malone, responsable du pôle Prospective Europe International de la FHF.
 
L’un des deux intervenants de la conférence intitulée "Vers une médecine de la donnée : « Systèmes analytiques de nouvelle génération : ce qu’ils changent dans la production de soins dans le monde en 2019 » a fait part de son expérience aux États-Unis, hier matin, à la Paris healthcare week. Selon lui, « la plupart de nos systèmes de santé actuels sont conçus pour traiter des épisodes aigus, donc cela conduit à une vision de systèmes en silos qui sont très mal adaptés pour faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés ».
 

Triple objectif

 
C’est pour répondre à cette problématique qu’est apparue il y a une dizaine d’années « une nouvelle vision de ce que le système de santé doit faire », d’après Antoine Malone. Une vision qui consiste à dire : « Pour qu’un système puisse répondre à long terme aux besoins de la population, il faut viser simultanément ce qu’on appelle le Triple Aim Framework ou triple objectif (de l’Institute for Health Care Improvement (IHI), NDLR) ».
 
De quoi s’agit-il exactement ? De viser à la fois, sur une population donnée, « l’amélioration de l’état de santé de cette population, l’amélioration de la prise en charge des patients au sein de cette population, et tout cela, au meilleur coût possible » , a poursuivi Antoine Malone, tout en assurant que ce standard est en train de s’imposer à l’échelle mondiale de façon conceptuelle. Mais ce modèle nécessite un niveau assez élevé d’intégration, d’après le spécialiste.
 

Fragmentation des acteurs

 
En outre, d’autres « défis importants » nécessitent d’être relevés si l’on souhaite adopter la logique du triple objectif afin d’améliorer la santé de la population. En France, le premier défi est lié « à la très grande fragmentation des acteurs de santé. Le système est très fragmenté entre la ville, l’hôpital et une multitude d’acteurs (services sociaux, associations, collectivités territoriales…) », relève Antoine Malone.
 
Or, dans une approche de triple objectif, « on partage tous le même patient. Ce n’est plus le patient de l’hôpital ou du médecin traitant, c’est le patient de l’ensemble des acteurs de santé du territoire, on est tous responsables de ce qui lui arrive. »
 
Autres défis qui s’imposent à la France selon le spécialiste : la faiblesse de la prévention, les déserts médicaux, de fortes inégalités de santé et un système très complexe pour les patients et la population, « si bien qu’on ne sait pas toujours où s’adresser, qui aller voir, comment faire pour accéder à ses droits... »
 

Fragmentation des données

 
Ce constat est partagé par Frédéric Valluet, Director Industry Solutions EMEA Region chez Marklogic. Mais celui-ci a tenu à préciser que cette fragmentation des acteurs de santé n’était pas propre à la France, mais qu’elle existait dans tous les pays du monde. À l’image des États-Unis « où l’échelon supplémentaire de l’État ajoute de la complexité, parce qu’il ajoute des visions et des systèmes différents ».
 
La problématique de la fragmentation des acteurs entraîne dans son sillage une autre problématique : celle de la fragmentation de la donnée, selon Frédéric Valluet : « Une information peut être disponible à différents endroits en même temps, sous différentes formes, mais cela ne veut pas forcément dire la même chose. Car le même message sera interprété de façon différente en fonction de l’esprit de l’organisation qui le reçoit. »
 
Le même problème existe dans tous les secteurs, « mais c’est un élément extrêmement sensible dans la santé car, derrière, il y a des humains, des patients, donc en cas de défaut de diagnostic ou quand l’assistance ne s’adresse pas à la bonne organisation, les conséquences peuvent être graves ».  
 

Harmonisation ou standardisation ?

 
Autre enjeu important soulevé durant la conférence : celui de l’harmonisation et de la standardisation des données. « Il y a aujourd’hui deux philosophies qui s’affrontent : la standardisation et l’harmonisation, confie Frédéric Valluet. Aujourd’hui, certains pensent que, pour que les pays puissent échanger des informations de santé entre différents systèmes, il va falloir créer un standard. Or c’est complètement utopique car pour créer un standard en santé, il faut préciser énormément d’informations sur les principes actifs, les médicaments, les praticiens… »
 
À l’avenir, le véritable enjeu sera donc, selon Frédéric Valluet, « d’harmoniser tout ce qui n’est pas standardisable.» À titre exemple : « Quand vous allez récupérer ce qui remonte du terrain, c’est-à-dire des verbatim du patient, du praticien hospitalier ou du chirurgien, mais aussi les éléments de contexte, c’est une mine d’informations qui représente 80 à 90 % de la réalité de l’information ».
 
Et c’est justement cela qu’il va falloir harmoniser : « En enrichissant un contenu qui n’est pas structurable et pas standardisable avec des concepts, pour ensuite récupérer du contenu que l’on va analyser », poursuit Frédéric Valluet.
 

Massification du réseau

 
Mais comment ce Big Data sera-t-il utilisé ? Tout d'abord à travers des usages très personnels, comme le dossier médical partagé (DMP) ou la transmission d’informations entre différents praticiens. Mais aussi pour des problématiques qui touchent de près ou de loin la santé. « Aux États-Unis, les assistantes sociales, les associations sportives, les coachs ont accès à des informations de santé, d’après Frédéric Valluet. Elles sont évidemment très expurgées de tout ce qui va être très personnel et très confidentiel. Mais néanmoins, ils ont accès à des informations qui vont leur permettre de développer leur activité ou des programmes pour aider des personnes. »
 
C’est ainsi que l’on construira « un réseau qui se massifie », poursuit Frédéric Valluet. Avec des usages multiples. Qu’il s’agisse d’épidémies « à travers l’analyse de la dissémination de virus ou de maladies » ou de la réduction des risques cardio-vasculaires.
 

Impact sur la recherche

 
Le Big Data aura évidement également un impact sur la recherche. En France, le Health Data Hub pourra « fournir des échantillons représentatifs d’une population, avec un niveau d’informations qui sera assez élevé sur le plan quantitatif et qualitatif », estime Frédéric Valluet. L’unification et l’harmonisation des données utilisées dans les différents milieux académiques permet donc d’avoir une progression de la recherche beaucoup plus rapide. »
 
Autres applications concrètes de l'utilisation de données massives dans le futur ? L’amélioration de la santé et de la prise en charge de certaines catégories de population. À condition que l’ensemble des acteurs de santé se mette d’accord à l’échelle du territoire à propos de la population sur laquelle ils vont travailler.
 

Cibler des populations

 
Par exemple, « si on veut travailler sur la population des diabétiques sur un territoire, il faudra réfléchir aux ressources pour stratifier cette population, explique Antoine Malone. Le premier enjeu sera la capacité à connaître cette population dans ce territoire donné, en incluant les gens qui sont à risque de diabète et ceux qui ne l’ont pas encore. »
 
Puis il s’agira d’éviter les conséquences suivantes, selon Antoine Malone : « Que les gens qui ont des facteurs de risques ne développent les pathologies, mais aussi éviter que les gens qui ont des pathologies développent des complications. »
 
Et ce citer un exemple d’entreprise qui a mis en œuvre avec succès cette approche : la société californienne Kaiser Permanente en Californie. Résultats : « moins de fumeurs, moins de surpoids, moins de crises cardiaques, moins de cancers du poumon que la moyenne de la population américaine », constate Antoine Malone. La population qui participe à ce genre de dispositifs est donc « en meilleure santé ».
 
Ce qui signifie que « c’est possible, que c’est faisable », estime Antoine Malone qui précise que Kaiser Permanent a consacré environ un quart de ses investissements aux systèmes d’information. « En France, nous n’en sommes pas à ce niveau, mais cela donne des idées sur ce qu’il est possible de faire. »
 

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