« Bientôt, les opticiens diront les ophtalmos ne sont pas assez joignables, donnez-nous le droit de délivrer les lunettes. Ça va se terminer comme ça ! »

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Afflelou vient de lancer un service de télécabine dans une trentaine de ses magasins. L'objectif annoncé est de pallier les déserts médicaux et de "faciliter l'accès aux soins", d’après Anthony Afflelou, directeur général du groupe. Le SNOF est vent debout et s’est fendu d’un communiqué incendiaire contre ces téléconsultations « inadéquates et inutiles ». Son président Thierry Bour, est très remonté…  

« Bientôt, les opticiens diront les ophtalmos ne sont pas assez joignables, donnez-nous le droit de délivrer les lunettes. Ça va se terminer comme ça ! »

Thierry Bour, le président du SNOF, est très remonté contre les télécabines Afflelou.

© DR.

What’s up Doc : Votre syndicat a publié un communiqué contre la mise en place de cabines de téléconsultation dans les magasins d’optique Afflelou, qu’est-ce qui vous gêne dans ce projet ?

Thierry Bour : En ce moment on forme 500 orthoptistes par an, contre moins de 200 il y a une vingtaine d’années. Chaque année, ils viennent augmenter l’activité à la fois dans les cabinets principaux, sur les sites secondaires ou en indépendant en ville. Ces orthoptistes ont de nouvelles prérogatives, votées dans la loi de finance de la sécurité sociale l’année dernière, qui rentrent en application ce mois-ci : ils vont pouvoir prescrire des ordonnances de lunettes et lentilles, sous certaines conditions pour des patients entre 16 et 42 ans, pour les amétropies faibles. D’autres mesures vont rentrer en fin d’année pour les patients enfants. Tout ça va se rajouter à ce qu’il existe déjà et qui a permis de réduire les délais de rendez-vous de 60% entre 2017 et 2021.

Et pour toutes ces mesures le SNOF était d’accord ?

TB. : L’année dernière, nous étions assez opposés à la prescription, car cela se faisait à bac+3 et nous, nous voulions plutôt les mettre dans les pratiques avancées. Mais cela n’a pas été le choix du gouvernement, pour des questions d’urgence. On parle de 26 jours pour les délais pour obtenir un rendez-vous en ophtalmo, il y a quelques années on parlait de 6 mois partout. Et les lunettes ne sont pas des rendez-vous urgents, d’ailleurs une fois que vous avez votre ordonnance, vous devez patienter au moins deux ou trois semaines pour récupérer vos lunettes à l’arrivée. Donc non seulement ces délais raccourcissent mais ils vont disparaitre dans les 2 ou 3 ans à venir grâce au travail aidé.
Pour les déserts médicaux, on a un plan qui va être discuté dans la convention médicale, pour stimuler d’une part, les installations dans les zones sous dotées, mais surtout développer des cabinets secondaires dans ces déserts médicaux. Et d’ores et déjà dans ces zones, depuis 2019, on a une baisse de 40% des délais de rendez-vous.

Mais dans ces déserts médicaux justement, ce sont déjà des télécabines qui sont installées ?

TB. : Ça peut être des télécabines, effectivement, mais ça ne fait pas tout. Le problème c’est que dans les zones sous dotées, ce sont des patients plus âgés, avec des difficultés pour se déplacer, avec des problèmes de prise en charge des cataractes, des glaucomes, des DMLA… Donc ce n’est pas du tout un problème de lunettes. Cette offre d’Afflelou risque de retarder l’application des vraies mesures. Et quand les télécabines sont mises en place ailleurs que dans des lieux commerciaux, dont l’ambition est simplement d’augmenter le chiffre d’affaires de l’enseigne, ça ne nous pose pas de problème. Là on devient un peu complice de marchandisation de la médecine. Dans le cas Afflelou, vous avez des clients qui vont être dirigés vers des télécabines, dans cette télécabine on va leur délivrer une ordonnance, qui correspond aux équipements optiques vendus dans le magasin. On a beau vous dire qu’il n’y a pas d’obligation d’achat, on sait bien que c’est quasiment un taux de 100% de conversion.

« La France est déjà le pays qui distribue le plus de lunettes et de loin ! »

Mais de l’autre côté de la télécabine, il y aura bien un ophtalmo, c’est lui va prescrire avec sa déontologie ?

TB. : Sauf que, Afflelou est en partenariat exclusif avec la plateforme Medadom. Les ophtalmos sont salariés sur Medadom, le patient ne les connait pas, et il n’y aura aucun suivi après. Nous ne sommes pas du tout dans une réponse aux besoins des zones sous dotées. On sait actuellement qu’il n’y a pas de différence d’équipement optique entre les zones rurales et les grandes villes. La population est équipée à 75%, le taux de renouvellement est aussi quasi-identique. Parce que le dispositif de l’ordonnance renouvelable existe déjà. Lorsque vous avez par exemple 40 ans, votre ordonnance est valable 5 ans. Justement cela permet déjà de faire le lien entre deux consultations d’ophtalmo. Donc ça ne va résoudre aucun problème des patients. Là c’est juste une incitation à consommer des équipements optiques, alors que la France est déjà le pays européen qui distribue le plus de lunettes et de loin, on n’a aucun besoin de prescription dans ce sens-là. On distribue 30% de lunettes en plus qu’en Allemagne dont la population est plus élevée que la nôtre. 70% des presbytes en France sont équipés en verres progressifs, et c’est une très bonne chose, mais c’est seulement 45% en Allemagne et 30% au Royaume Uni.

Donc pour vous, inutile de créer ces cabines, car il n’y a pas de besoin ?

TB. : Oui et en aucun cas une téléconsultation ne doit être initiée par un commerçant, une téléconsultation c’est entre un soignant et un patient. Là il y a un côté incitatif. Des clients peuvent être attirés aussi parce qu’il y a ses cabines, donc ils créent aussi une concurrence déloyale avec les autres magasins d’optique. Du coup les autres enseignes, Krys, Optic 2000, Grandvision, vont vouloir faire de même. On va se retrouver avec des centaines de télécabines, et il n’y aura pas les ophtalmos en face pour y intervenir. Il en manque déjà en cabinet, il manque des remplaçants, il en manque pour développer de vrais sites secondaires. Ensuite les opticiens diront les ophtalmos ne sont pas suffisamment joignables, donnez-nous l’autorisation de délivrer directement les lunettes. Ça va se terminer comme ça.

« On considère que Medadom est en situation de compérage avec Afflelou »

Quel est votre riposte à part votre communiqué ?

TB. : On considère que les ophtalmos Medadom sont en situation de compérage, car ils emmènent de l’activité à un auxiliaire médical commerçant, et le commerçant en retour leur ramène des clients. Médadom est donc en compérage avec Afflelou. Donc on pourrait attaquer les ophtalmos au Conseil de l’Ordre, mais sur la plateforme Medadom, il n’y a pas le nom des médecins. En ce moment, on discute dans le PLFSS, des lieux d’implantation des télécabines, il y a plusieurs amendements, pour qu’elles n’aient lieu que dans les maisons de santé, dans les collectivités locales et en officines. Mais ça n’a pas été repris dans le 49.3. On voit qu’il y a des dérives. La téléconsultation n’est pas un recours marketing.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/je-travaille-moins-quavant-et-je-gagne-plus-mais-surtout-avec-point-vision-je-suis-serein

Le compérage ne peut pas être attaqué au tribunal ?

TB. : Oui mais au cas par cas, donc ce serait mieux que ce soit directement dans la législation. On devrait interdire la téléconsultation dans des lieux où l’on vend des équipements remboursés par l’assurance maladie et des complémentaires. Ces cabines sont très chères entre 100 000 et 150 000€, c’est à peu près le coût d’un cabinet secondaire. Et on cible une toute petite partie de la population avec des ambitions commerciales. Elles seraient beaucoup plus utiles dans des cabinets secondaires. Si Afflelou veut aider les zones sous dotées, ils n'ont qu’à offrir leurs cabines à la mairie du coin.

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