Benni-non-non

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Critique de "Benni", de Nora Fingscheidt (sortie le 22 juin 2020)

Benni-non-non
Benni est une enfant de neuf ans hyper-violente, dans la provocation et l'affrontement permanents, en proie à une explosivité résultant de multiples expériences traumatiques. Nous assistons, en immersion totale, aux tentatives répétées d'une équipe médico-sociale, inlassable et admirable, d'offrir une perspective d'avenir à cette petite Systemsprenger. Et à autant de désillusions et d'échecs apparents... La délicatesse et la méticulosité descriptive de Pupille côtoient le tsunami affectif de Mommy, ce qui donne une énergie constante à ce film porté par le refus de sombrer dans la noirceur absolue.

Il faut avoir le cœur bien accroché pour entrer dans ce film allemand plein de cris et de fureur, d'autant plus que ce sont ceux d'un enfant. En même temps, sa réalisatrice ne nous en laisse pas trop le choix: dès les premières images et surtout les premiers sons, impossible de faire demi-tour, la caméra nous rend captifs de l'histoire de cette petite fille à la blondeur angélique et dont la violence est impossible à juguler. L'expérience pourrait devenir insupportable, voire malsaine - on aimerait d'ailleurs qu'un deuxième film, documentaire celui-ci, soit réalisé pour savoir comment une réalisatrice peut tant demander et tant obtenir d'un enfant - mais l'écueil est constamment évité grâce deux procédés: l'humour, qui se manifeste sous forme d'un running gag sur musique espiègle dès que Benni échappe à ces adultes qui voudraient la contraindre, mais surtout la tendresse et l'humanité qui sont constamment posés sur sa souffrance, même lorsqu'elle se manifeste sous les formes les plus durement destructrices. 

Ainsi, même si l'on échappe à peu de choses dans la description de ses troubles de l'opposition, véritables moments dissociatifs, pas de temps inutilement passé à essayer de comprendre la raison pour laquelle elle en est là, pas de voyeurisme ni de misérabilisme concernant son vécu traumatique, qui se cristallise autour de son incapacité à supporter qu'on lui touche le visage : en quelques phrases, tout est dit ; en quelques scènes, l'on comprend ce qui se joue autour de la relation d'attachement insecure, ambivalent, avec la figure maternelle. Pas besoin de scènes chez le psy, celui-ci étant d'ailleurs singulièrement absent du dispositif. Non, ce qui intéresse Nora Fingscheidt, qui a l'intelligence de ne pas distribuer les bons et les mauvais points sur le plan moral (et notamment dans sa description de Benni, clairement plus dans l'empathie que dans la sympathie), c'est l'abnégation de ces professionnels de santé et surtout des services sociaux, qui font corps autour d'elle, à plus ou moins de distance, avec plus ou moins de motivation, pour lutter contre la fatalité, la destructivité de son scénario de vie si prévisible. Les moyens économiques et humains mis en oeuvre par la société allemande pour ce que certains seraient tentés de qualifier de tâche accessoire voire inutile, le refus d'abdiquer, voilà ce qui impressionne dans cette histoire très touchante, dont l'affection et l'intérêt portés à chaque maillon de cette généreuse chaîne font penser au film Pupille, si délicat.

Pour ce qui est de l'instabilité et de l'hyperréactivité émotionnelles, Nora Fingscheidt lorgne plus du côté de Mommy, dont elle reprend sans complexe, parfois presque à l'identique, certains éléments, et pas des moindres. Elle arrive pourtant à donner un ton unique à son film, probablement parce que chez Mommy la noirceur était plus tenue à distance, pour ne rendre son final que plus implacable. Là où Benni réussit à montrer à quel point tout est constamment en train de déraper et de s'abîmer. Et puis il y a cette enfant, cette caméra qui s'agite avec elle, ces cris et ces coups comme autant de blessures au cœur et à l'âme, jusqu'à la nausée. C'est fort et direct, un peu comme si Maïwenn avait choisi d'étirer sur deux heures la scène du hurlement dans Polisse. Et l'on se surprend par moments, essorés, à relâcher la tension quasi-constante qui sature le film, comme quand Benni réclame dans la nuit silencieuse la présence d'un père ou d'une mère de substitution, ou lorsque cette assistante sociale pétrie d'humanité se laisse submerger par les larmes qu'elle voudrait refouler...

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