Axel Kahn : la médecine, c’est 50 % de câlinothérapie

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Axel Kahn : la médecine, c’est 50 % de câlinothérapie

Lors de la Paris Healthcare Week, un congrès de la FHF s’est intéressé à cette épineuse question : La santé est-elle un algorithme ? Le généticien Axel Kahn était au centre des débats. L’occasion de discuter avec ce grand spécialiste de l’éthique, hémato de formation, de la place de l’humain au sein d’une médecine de plus en plus technicisée. Entretien.

What’s up Doc. Selon vous, en quoi la santé ne se réduit-elle pas à la technique ?

Axel Kahn. Il y a la santé objectivement dégradée : les maladies, ce que les radios ou les examens biologiques détectent. Et puis il y a la santé qui perturbe profondément une personne, l'appréhension qu'elle a de la vie. La première approche de la santé peut être algorithmique. Des machines utilisant des algorithmes, du big data, l'intelligence artificielle, peuvent remplacer beaucoup des actes techniques du médecin : le diagnostic, le pronostic, la proposition de traitement, et même certains actes chirurgicaux. J'imagine que demain ce sera de plus en plus le cas.

WUD. Et le deuxième aspect ?

AK. Cet aspect d'interaction avec la personne est lié au mal-être qu’elle peut ressentir, à son inquiétude, son angoisse, ses interrogations, la manière dont elle va pouvoir décider de façon autonome ce qu'il convient qu'elle fasse, etc. Ça, ça exige une vraie interaction regard dans regard, visage contre visage, peau contre peau [dit-il en nous tapant sur l'épaule, ndlr.] Et ça, ce sont encore des médecins humains qui en seront responsables.

WUD. N'y a-t-il pas un hiatus entre ce besoin d’humanité et la façon dont les médecins sont sélectionnés puis formés ?

AK. La réponse est oui. Une part croissante des gestes techniques sera prise en charge par les machines et beaucoup de médecins auront avant tout une pratique relationnelle. Donc il va falloir faire évoluer les études médicales. Nous avons commencé de le faire, notamment à travers la sensibilisation à l'éthique. Il y a une épreuve de SHS dans le concours de 1ère année et l’introduction de modules d'éthique obligatoires dans pas mal d’enseignements. Mais ce n'est qu'un balbutiement. Cette dimension relationnelle devra faire l'objet d'un effort pédagogique accru.

WUD. Les médecines douces et alternatives connaissent un vrai engouement. Faites-vous le lien avec l’emprise croissante de la technologie en médecine ?

AK. Il y a plusieurs raison à cela. Il y a d'abord un certain désamour de la science, qui a trop promis. Or il est clair que la science n'a pas apporté le bonheur. Il y a donc une tendance à aller vers des approches pré-scientifiques : le mage, la douceur, la bonté, la gentillesse, la tradition, la médecine chinoise... Le deuxième point, c'est que la technique est considérée comme dure et agressive. Quand on parle de médecine douce, on oppose sa douceur à la brutalité déshumanisante de la technique. Enfin, il y a la recherche d'une approche médicale qui donne toute sa place au psychologique et au contact.

WUD. Pour un jeune médecin, devenir humain ça s'apprend ?

AK. Ça ne s'apprend pas mais il faut en prendre le temps. Il faut bien sûr reconnaître l'exigence. On est chercheur, médecin, chirurgien : on apprend à avoir le meilleur niveau technique possible. Mais il faut être avisé, cette excellence technique ne suffira pas dans sa pratique. La considération de la valeur de l'autre devra toujours être prise en compte. La prendre en compte, c'est en prendre le temps. On sait très bien que dans l'efficacité d'un geste thérapeutique, même pour une maladie grave, il y a une part de relationnel que j’évalue à 50 %. C’est ce que j'appelle la "câlinothérapie".

WUD. Avec les politiques de santé actuelles, un Ondam à 2 % par exemple, donne-t-on les moyens aux soignants d'assumer cette dimension humaine de la médecine ?

AK. On m’a posé la question hier à une conférence devant des directeurs d’établissement. Si un directeur se rend compte que ses crédits ont été diminués et qu'il veut optimiser l'efficience, il est dans son rôle. De toute façon, les crédits alloués à la santé sont toujours limités. Le souci d'offrir les bienfaits maximaux à l'aide de ces crédits limités a une valeur éthique. Maintenant, s’il ne prend pas en compte l’aspect d'accompagnement des personnes, en interdisant ou en limitant drastiquement tout ce qui n'est pas dévolu à l'aspect technique, alors là il perd totalement l'objectif de son combat. Un combat de gestionnaire est légitime s’il vise à prendre en compte le malade dans sa diversité.

Source:

Yvan Pandelé

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