Anastomose céphalosomatique : Canavero a pris la grosse tête

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Il n’est pas loin de la perdre

Anastomose céphalosomatique : Canavero a pris la grosse tête

Le chirurgien italien fantasque Sergio Canavero a annoncé avoir réalisé avec succès une transplantation de tête, avec une équipe chinoise. Donneur et receveur étaient décédés. Une sorte de répétition générale avant une tentative sur des vivants.

Scientifiquement intriguant ou carrément flippant ? Le cœur des spécialistes semble balancer entre les deux à l’annonce de la réussite d’une première transplantation de tête, dont le cas a été publié dans Surgical Neurology International. Entre (prétendue) prouesse médicale et problèmes éthiques, la nouvelle avait tous les ingrédients pour ne pas passer inaperçue, que ce soit pour le grand public ou pour la communauté des neurologues et neurochirurgiens.

Le buzz, on le doit une nouvelle fois à Sergio Canavero, qui a fait de cette procédure son cheval de bataille depuis plusieurs années. Après quelques tests sur des animaux, rats et singes, le neurochirurgien italien est cette fois passé à l’étape supérieure, en s’attaquant à l’homme. Et en remuant ciel et terre pour faire parler de lui.

Une première étape

L’idée n’est pas insensée. La transplantation peut être imaginée pour redonner un espoir de survie à des patients souffrant de la maladie de Charcot ou la SLA, par exemple, ou d’autres pathologies impliquant une dégénérescence du corps, et pas du cerveau. Mais les avancées en neurochirurgie sont encore loin de permettre ce genre d’opérations.

L’anastomose céphalosomatique (ACS) réalisée par le Pr Canavero, avec une équipe chinoise de l’université de médecine de Harbin dirigée par le Pr Xiaoping Ren, est en effet encore inopérante. Elle a été pratiquée sur deux cadavres. Une sorte de répétition générale avant de passer aux choses sérieuses. Une nouvelle intervention sur des personnes vivantes mais en état de mort cérébrale est déjà prévue.

Canavero, un Italien de Marseille

Mais sur toutes les annonces de Canavero, les neurologues ont des doutes. Tant sur la capacité des chirurgiens à réaliser toutes les anastomoses vasculaires et nerveuses sur un patient vivant, dont la circulation sanguine va compliquer le travail, que sur la reconnexion réussie de la moelle épinière qui a été annoncée. Des doutes renforcés par l’absence de preuves de la prétendue prouesse médicale. Pas même une photo n’a été publiée.

L’équipe annonce avoir réussi à reconnecter 10 % de la moelle épinière grâce à un mélange PEG-chitosane. Un point qui étonne Marc Levêque, neurochirurgien à l’hôpital Résidence du parc à Marseille. « Raccorder des artères, des veines, des muscles ou la colonne vertébrale, c’est possible. Mais reconnecter autant d’axones montants et descendants dans la moelle épinière ne l’est pas », explique-t-il à What’s up Doc, en rappelant la réputation sulfureuse du Pr Canavero dans la communauté des neurochirurgiens. « Pour moi, c’est seulement un effet d’annonce, car je ne vois pas d’avancée conceptuelle ou technique dans son travail », ajoute-t-il

Une opération pour rester paralysé

Se pose alors la question de l’utilité d’une telle procédure. Car même si une partie de la moelle épinière est reconnectée, il est impossible qu’elle soit fonctionnelle, précise le neurochirurgien. Dès lors, quel intérêt de passer par une telle intervention alors que le meilleur pronostic envisageable se limiterait à la tétraplégie ? Sans parler des risques de rejet et d’infection. Les animaux vivants sur lesquels des tests ont été menés n’ont d’ailleurs survécu que quelques jours.

« C’est méprisable et dangereux pour la vraie science », s’indigne Arthur Caplan, directeur de la division d’éthique médicale à l’école de médecine de l’université de New-York, interviewé par Futurism. « [Canavero] n’a même pas démontré qu’il pouvait faire ce qu’il annonce chez l’animal. Et s’il savait comment régénérer la moelle épinière, il y a littéralement des millions de personnes dont la moelle épinière est endommagée dans le monde. »

Qui est qui ?

L’annonce soulève de nombreuses questions éthiques. Le manque de bénéfice sur la santé des patients renforce le sentiment de gâchis d’une telle opération. Les organes du donneur seraient sans doute bien mieux utilisés indépendamment, dans un contexte de pénurie générale de donneurs.

Ensuite, des réflexions plus inattendues jaillissent. Notamment au niveau légal. Qui est le donneur, et qui est le receveur ? Car si la tête semble naturellement être le creuset de l’identité d’un individu, la génétique contredit cette intuition : le nouveau corps serait génétiquement celui du donneur. Qu’en est-il alors des empreintes digitales, ou même de la descendance ? À qui appartient le patrimoine génétique ? En considérant qu’il reste la « propriété » du donneur, celui-ci doit-il être stérilisé avant la transplantation ? Avec quel consentement ?

Toutes ces questions, et bien d’autres, ne semblent pas inquiéter les autorités médicales chinoises, qui ont autorisé les essais cliniques. L’Empire du Milieu dispose de conceptions éthiques bien plus souples qu’ailleurs dans le monde, et c’est la raison pour laquelle le neurochirurgien italien l’a choisi pour mener ses expérimentations très limites sur le plan moral.

Crédits photo : Cordelia Naumann/Flickr

Source:

Jonathan Herchkovitch

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