Absence de diagnostic

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Un diagnostic doit toujours être élaboré avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant des méthodes scientifiques.

Absence de diagnostic

LES FAITS

AU DÉPART DE SIMPLES DOULEURS ABDOMINALES…
Manon*, 13 ans, présente des maux de ventre et des vomissements. Elle est envoyée en urgence un 23 novembre en clinique pour une appendicite aiguë. La jeune fille ne présente pas d’antécédents médicaux ou chirurgicaux en dehors d'un surpoids (IMC : 27,4). L'appendicectomie sous cœlioscopie est réalisée dès le lendemain. Les 25 et 26 novembre, la patiente souffre de pics de fièvre à 39 °C, son drainage reste clair. Les jours suivants, Manon arrive à se mobiliser malgré quelques douleurs. Sa température est alors redescendue en dessous de 38 °C.

Le 1er décembre, une échographie de contrôle est réalisée et montre un épanchement du Douglas. Un examen de sang pratiqué le 2 décembre révèle un taux de globules blancs élevé. Le lendemain, un nouvel examen sanguin est pratiqué révélant un taux de plaquettes très élevé lui aussi. Dans la journée du 3 décembre, Manon ressent une douleur thoracique brutale. Elle est examinée 
par un nouvel anesthésiste-réanimateur, qui demande une consultation cardio et prescrit des gaz du sang pour détecter une possible embolie pulmonaire. Le cardiologue se rend auprès de la patiente et, après réalisation d'un ECG, conclut à l'absence de signe d'embolie pulmonaire.

Le 4 décembre, malgré le changement d'antibiotiques et la mise sous triple antibiothérapie, l'état de Manon ne s'améliore pas. Une nouvelle écho abdopelvienne est effectuée. À la demande du chirurgien, Manon est reprise au bloc opératoire pour l'évacuation d'une collection dans le cul de sac de Douglas. Dans la matinée du 5 décembre, Manon se plaint d’une sensation de malaise et ressent une gêne au niveau de la gorge. À 16 h, un cathéter central est alors mis en place au bloc. Remontée dans sa chambre, Manon présente un arrêt cardiorespiratoire avec perte de conscience à 17 h 35. Les deux anesthésistes sont appelés à intervenir. L'intubation de la patiente et les gestes de réa classiques sont pratiqués. Manon décède à 18 h 45 d'une embolie pulmonaire massive…

UNE EXPERTISE IMPLACABLE

Sur le plan diagnostic, les experts confirment que l'embolie pulmonaire est à l'origine de l'arrêt cardiorespiratoire survenu lui-même en deux temps. Ils précisent que les résultats des gaz du sang donnés dans la copie du rendu d'examens du laboratoire d'analyses médicales montrent une hypoxémie patente  avec PaO2 à 59mmHg, avec une hypocapnie modérée.  « Les données de ces gaz du sang artériel sont très évocatrices voire pathognomoniques du diagnostic d'embolie pulmonaire dans le contexte clinique. Plus précisément, ils indiquent que devant une symptomatologie caractérisée par une douleur brutale thoracique droite, après le premier lever, la présence d'une hypoxémie patente avec une hyperventilation alvéolaire devait conduire à porter le diagnostic d'embolie pulmonaire ».

Les responsabilités de l'anesthésiste et du cardiologue ont été mises en cause. L'expertise reproche au premier de ne pas avoir  pris connaissance des résultats des gaz du sang qu’il avait prescrits,  et au second de ne pas en avoir prescrit, ce qui s'imposait dans  ce contexte clinique. Un traitement anticoagulant adapté par HBPM  à dose curative aurait pu alors être parfaitement administré dès  les résultats, au décours immédiat de la symptomatologie clinique évocatrice d'embolie pulmonaire. C'est pourquoi, pour la perte de chance, la responsabilité conjointe des deux médecins a été retenue.

Les experts concluent que l'absence de diagnostic d'embolie pulmonaire, le 2 décembre, constitue une perte de chance de 90 % d'éviter de nouvelles migrations thromboemboliques dans l'artère pulmonaire. L'administration d’HBPM à dose curative dès les résultats des gaz du sang obtenus aurait pu assurer une prévention secondaire efficace des récidives de migration embolique.
La symptomatologie clinique qu’a présentée Manon le 2 décembre était suffisamment évocatrice pour réaliser des examens complémentaires permettant de porter le diagnostic d'embolie pulmonaire. De plus si le scanner avait objectivé une amputation  du lit artériel pulmonaire majeure, une thérapeutique complémentaire aurait pu être instituée. Devant le risque vital de la situation, l'intervention ayant consisté en une simple reprise chirurgicale pour l’évacuation de l’abcès, il était possible d'envisager la mise en place d'un filtre cave, voire de l'administration de streptokinase sous contrôle d'un saignement au niveau du site chirurgical.

UN JUGEMENT  QUI COÛTE CHER…

Le jugement contentieux a  été prononcé plus de 7 ans après les faits. Le tribunal  de grande instance  condamne exclusivement  les deux praticiens. Le lien entre leurs manquements retenus et la perte de chance d'échapper à une récidive d'embolie pulmonaire est défini comme direct et certain. Cette perte de chance est fixée au taux de 90 %.
Le tribunal prononce la mise hors de cause du 1er anesthésiste.

DÉDOMMAGEMENTS
Compte tenu des éléments, les souffrances importantes endurées tant sur le plan physique que moral dès le 3 décembre et jusqu'à son décès, peuvent être évaluées à 5 sur une échelle de 7.
Le tribunal condamne in solidum les deux médecins responsables à payer :
− 38 309,75 € au père ;
− 35 550 € à la mère ;
− 15 300 et 12 600 €  aux sœurs.

* Les noms ont été changés

Article proposé avec le soutien de l'Oniam (Office national d’indemnisation des accidents médicaux)  Tél. 0 810 600 160 - www.oniam.fr

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