120 bpm : WUD remet le couvert avec Robin Campillo

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Jour J : la sortie de son film

120 bpm : WUD remet le couvert avec Robin Campillo

Suite et fin de l'interview de Robin Campillo dont le film "120 battements par minute", très attendu, est sorti aujourd'hui. Pour What's up Doc, il en dit plus sur le tournage et ses souvenirs de militant anti-sida.

What's up Doc : Les relations entre les membres d’Act Up sont souvent décrites de façon allusive. Le côté psychologique volontiers évacué. Ainsi on comprend peu les raisons pour lesquelles certains personnages sont en conflit.

Robin Campillo : C’est vrai que je n’aime pas trop prendre le spectateur par la main. Le fait qu’il ait une représentation peu claire de ce qui se joue est garant d’une certaine liberté dans l’idée qu’il peut s’en faire. C’est un peu la même chose pour les membres de l’association lors de la première scène : certains pensent que l’intervention qu’ils viennent d’effectuer était totalement ratée, d’autres comme Sean veulent au contraire leur démontrer combien elle était réussie. Tout est une question de point de vue.
L’altercation entre Thibaut et Sean, quand celui-ci est hospitalisé, correspond à un souvenir personnel. Mais, si j’ai gardé en mémoire l’intensité de la dispute, je suis incapable de m’en rappeler la cause ! J’ai tenu à garder ce regard interrogateur tout au long du film.

WUD : Sean, justement, est le personnage sur lequel le film se recentre peu à peu. Le film choral évolue vers une dimension plus intimiste…

RC : La trajectoire de Sean symbolise l’évolution d’un certain idéal du militantisme, celui que conservera Thibaut par exemple, confronté à la réalité de la maladie. Dans la première scène Sean fourmille d’idées plus provocantes les unes que les autres pour conférer aux interventions l’impact le plus fort possible. Lors de sa dernière assemblée, alors qu’il est déjà considérablement affaibli, il refuse d’aller dans le sens de Thibaut qui veut que les plus malades soient représentés à la gay pride. Il n’arrive plus à participer au combat. La maladie a en quelque sorte pris le pas. C’est souvent ainsi que cela se passait à Act Up

WUD : La figure du médecin est quasiment absente du film. Quelle était leur importance à Act Up ?

RC : Ils n’étaient pas très nombreux. J’y ai croisé un ou deux internes. Il y avait aussi un psychiatre qui avait beaucoup travaillé sur la toxicomanie. Je me souviens surtout de Maryvonne Molina, une « figure » d’Act Up qui devait avoir dans les 65 ans, qui siégeait à la commission médicale et qui avait formé à peu près tout le monde sur les virus et les traitements, puisqu’elle était biologiste.
Les médecins étaient présents, mais plutôt de façon satellite. S’ils sont si peu présents dans le film, c’est parce que je voulais être du côté des malades, et montrer la façon dont ils se saisissaient eux-mêmes des problèmes de prévention et de prise en charge.

WUD : Justement, penses-tu que la responsabilité, dans l’insuffisance de prévention que tu décris, se limite aux politiques ou qu’elle s’étend aussi au domaine médical ?

RC : Je ne crois pas que les médecins portent une responsabilité dans cet échec et dans ces errances. A Act Up nous côtoyions souvent les médecins, certains comme Jean-Paul Levy (président de l’Agence Nationale de Recherches sur le SIDA) nous ont même très tôt associés à leur travail. Et, bien que nous entendions des histoires sur du personnel médical qui discriminait certains séropositifs (comme les médecins d’entreprise qui dépistaient certains employés sans leur accord), on savait aussi que certains étaient incroyablement impliqués ; d’ailleurs cela circulait vite et leurs cabinets étaient rapidement pleins. Ces praticiens, dont nous parlaient nos amis proches qui étaient suivis par eux, il nous arrivait de les croiser en réunion…C’était parfois bizarre !

WUD: Le film se défend de tout passéisme, évite la reconstitution d'époque. Certaines scènes, comme celle du labo, sont même étonnamment modernes !

RC : Plus le spectateur se sent concerné, mieux c'est! Il faut que des éléments du film résonnent avec sa vie actuelle, son époque. Et puis, il faut se rappeler que ces militants se sont unis et ont agi avant l'apparition d'Internet et des réseaux sociaux, ce qui ne fait que rajouter à la force et au côté précurseur de l'organisation. Je dirais même que notre époque a perdu de cette force subversive et radicale qui animait Act Up...

Source:

Guillaume de la Chapelle

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