Saint-Antoine : dans la tête des grévistes

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Mercredi 15 mai. Un parfum d'Éden flotte dans les allées fleuries de l’hôpital Saint-Antoine (Paris). Pas un nuage dans le ciel. Le soleil diffuse ses rayons d’espoir sur les silhouettes qui déambulent dans l’enceinte de l’établissement. Une lumière d’espoir dont ont cruellement besoin les personnels paramédicaux des urgences de Saint-Antoine qui sont en grève depuis le 18 mars, suite à une série d'agressions.
 
Les traits tirés par une longue journée de travail, une infirmière et une aide-soignante de l’hôpital nous reçoivent dans un bureau à l’abri des regards indiscrets. « Ici, c’est la chasse aux sorcières », nous confie l’une d’entre elles quand on lui demande s’il est possible de la prendre en photo. Leurs visages n'apparaitront donc pas trop sur les photos.
 
Un climat délétère confirmé par Aïcha Haccoun, la secrétaire de la CGT à Saint-Antoine : « Le personnel et les syndicats sont dans le collimateur de la direction car ils sont les précurseurs de la grève des urgences. Nous sommes les fers de lance du mouvement, donc on ne veut pas que ça s’ébruite… »

 
Tout a démarré le 13 janvier dernier : deux infirmières et une aide-soignante ont été agressées par un patient. Résultat : une interruption temporaire de travail (ITT) de huit jours pour chacune d'entre elles. « Les agressions sont l’élément déclencheur de la grève, confirme Juliette Dayre, une infirmière du service des urgences (SU) qui a rejoint le mouvement social de Saint-Antoine. Les urgences ont connu six agressions entre mi-janvier et mi-mars. »
 
Un préavis de grève illimitée a été déposée le 12 mars par le syndicat SUD, rejoint par la CGT et FO, pour réclamer une meilleure sécurisation des locaux et du personnel. Mais aussi des effectifs supplémentaires et une prime de 300 euros nets par mois, en reconnaissance de la difficulté de ces conditions d'exercice.
 
Le personnel paramédical demandait notamment la réparation de quatre interphones (sur treize) des boxes de consultation. « On se retrouve seul à seul avec les patients dans ces boxes quand on ferme la porte, précise Juliette Dayre. Les interphones permettent d’appeler à l’aide en cas d’agression, d’arrêt cardiaque ou de convulsion. »

Et de déplorer : « C’est malheureux de devoir se mettre en grève pour que l’on répare ce qui devrait fonctionner et être vérifier pour que le service fonctionne normalement… On ne devrait pas avoir à quémander ce genre de réparations… »
 
Le personnel en grève a donc émis les revendications suivantes. Premièrement, la présence d’un agent de sécurité 24h/24, 7j/7 dans les SU, ce qui a fini par être obtenu. « Certes, les agents de sécurité n’ont pas le droit de toucher les patients, mais cela permet de temporiser dans certaines situations, de prendre le temps de discuter », explique Juliette Dayre.
 
Deuxième revendication sur le volet « sécurité » : sécuriser les locaux avec des caméras de vidéo-surveillance. « Il y en avait déjà mais on ne pouvait pas visionner les images, on ne voyait rien… », précise Viviana Araujo, une aide-soignante également en grève.
 
Troisième revendication : sécuriser les portes SU pour filtrer les accès. « Cela fait des mois qu’on a fait la demande, sans succès… soupire Viviana Araujo. Or, aujourd’hui encore, on fait semblant de taper un code pour faire croire que cela fonctionne… »
 

« On vient pour soigner, pas pour se faire frapper »

 
« Nos revendications sont légitimes, estime Juliette Dayre. On ne demande pas non plus des choses de dingue, on ne demande pas de partir en vacances aux Seychelles ! On demande juste que les locaux et les personnels soient sécurisés pour éviter les agressions sur notre lieu de travail. On vient pour soigner, pas pour se faire frapper ou insulter. »
 
Quant à Viviana Araujo, elle considère que « les conditions de travail, qui ne sont déjà pas faciles à la base, deviennent d’autant plus difficiles quand on se fait agresser sur le lieu de travail. Les agressions débouchent sur des traumatismes et la confiance finit par se rompre…. Quand on est dans la crainte constante de subir une agression, cela devient quasi impossible de travailler... »
 
La direction a fini par entendre en partie les grévistes. Selon les deux infirmières, un agent de sécurité est présent tous les jours de 7h à 19h, plus deux agents de 19h à 7h. La direction a également installé des caméras de vidéo-surveillance avec un retour écran. De plus, deux interphones (sur quatre) endommagés ont été réparés. Enfin, le personnel en grève a décroché un rendez-vous avec la direction pour sécuriser les portes d’accès aux urgences.

Bien lotis en termes d’effectifs

 
Tout n’est pourtant pas complètement noir à Saint-Antoine, nuancent les infirmières. « Certes, le personnel est épuisé et les agents se mettent en arrêt comme dans tous les SU de France, mais on est plutôt bien lotis en termes d’effectifs, ce qui n’est pas le cas d’autres SU de l’AP-HP où la situation en termes d’effectifs est gravissime », selon Viviana Araujo.
 
À titre d’exemple, contrairement à d’autres établissements, les infirmiers et les aides-soignants de Saint-Antoine disposent de « zones de soins spécifiques pour s’occuper des patients », ajoute Viviana Araujo.
 
Mais ce qui a le don d’exaspérer les deux infirmières, c’est que les aides-soignants « embauchés » multiplient les contrats précaires. « Il y a 15 ans, les aides-soignants étaient stagiairisés au bout de trois mois et titularisés au bout d’un an, constate Juliette Dayre. Aujourd’hui, la règle, c’est le renouvellement permanent des CDD. De plus, on ne remplace pas les personnes qui partent en congés maternité. »
 
Aux dernières nouvelles, deux aides-soignants auraient été stagiairisés depuis le début du mouvement, le 1er avril et le 1er mai. Mais le personnel demande trois « stagiairisations » de plus.
 
De son côté, la secrétaire de la CGT Aïcha Haccoun, revendique « plus d’effectifs car les objectifs des agents augmentent sans que la direction tienne compte de l’augmentation de l’activité. On demande toujours plus aux agents, on leur ajoute de l’activité, de la traçabilité, des commandes de médicaments ou de matériel… »
 

Faire craquer les agents

 
L’objectif de la direction selon Aïcha Haccoun ? « Faire craquer les agents, les pousser à la faute, afin de virer les fonctionnaires et embaucher à leur place des CDD. Martin Hirsch a annoncé qu’il y avait 800 postes à rendre sur tous les établissements de l’APHP en 2019, sachant qu’il y en avait déjà 800 à rendre en 2018. »
 
Selon elle, la direction veut faire passer le message suivant : « Vous voyez bien que cela ne fonctionne pas, que les agents n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs… donc il faut fermer l’hôpital. On fait tout pour que cela ne fonctionne pas… »
 
Autre motif de mécontentement soulevé par les deux infirmières : « Martin Hirsch (le directeur général de l’AP-HP, NDLR) a sucré sept jours de repos avec la réforme de l'organisation du temps de travail (OTT) qui est entrée en vigueur en 2017 », selon Juliette Dayre.
 
Concrètement, l’OTT, c’est la disparition de l’organisation du travail en 7h50. « Donc, pour nous, les infirmières, le schéma horaire est maintenant de 7h36, ce qui fait 7 jours de repos en moins, poursuit Juliette Dayre. Pour d’autres, c’est l’introduction de l’organisation du travail en 7h30 et c’est 10 jours de repos en moins dans l’année. »
 
Et Viviana Araujo de compléter : « Les minutes perdues son amputées sur notre temps de transmission qui est un moment crucial pour la prise en charge des patients. Or, quand on écourte ce temps de transmission pour rentrer dans les 7h36, soit on met le patient en danger car des informations peuvent passer à la trappe, soit on ne sort pas à l’heure et on perd du temps qu’il est impossible de récupérer. »

Une prime de 300 euros

 
Le personnel en grève réclame également une prime de 300 euros « pour tenir compte de la pénibilité et de la difficulté de notre métier dans les SU, plaide Juliette Dayre qui ajoute : « L’activité du service augmente constamment, on a de moins en moins de lits, les agressions augmentent, sans oublier les risques infectieux… »
 
Embauchée il y a sept ans à Saint-Antoine comme aide-soignante, Viviana Araujo gagne à peine 1900 euros bruts et travaille un week-end sur deux. Elle demande donc « une reconnaissance financière » qui tienne compte « de la difficulté croissante de ses conditions de travail. »
 
« Tout le monde nous dit que l’on mérite d’être mieux payés, observe Juliette Dayre. J’entends ce discours depuis 15 ans, mais notre salaire n’augmente pas tandis que notre charge de travail continue à augmenter. L’indice des fonctionnaires est gelé depuis une dizaine d’années »
 
Quant à la secrétaire de la CGT, Aïcha Haccoun, elle se dit opposée au versement d’une prime de 300 euros « car elle ne rentre pas dans la revalorisation salariale et le calcul de la retraite. De plus, ces primes sont assujetties à un service. Donc, le jour où vous quittez les urgences, c’est la fin de la prime ». Elle demande donc que « la prime de 300 euros soit actée pour tout le monde, sous la forme d’une revalorisation des salaires et des primes. »


 
Pour en revenir aux conditions de travail, l’augmentation de la charge de travail oblige parfois les soignants à êtres maltraitants malgré eux : « Quand on rentre chez soi après le travail, on se rend qu’on a forcément été maltraitant avec quelqu’un, déplore Juliette Dayre. On n’a pas l’impression de faire un travail correct et digne. »
 
Et d’ajouter : « Il y a des jours, où on n’a pas le temps d’amener les personnes âgées aux toilettes, donc on ne leur pose pas la question et on leur met un bassin sous les fesses. Voilà pourquoi les infirmières se cassent au bout de trois ans pour travailler en libéral. »
 
Quant à Viviana Araujo, elle avoue « user sa santé ». En effet, elle « travaille debout toute la journée », n’a parfois « pas le temps de pisser ou de boire un verre d’eau », ni de faire une pause déjeuner :
 
« Aujourd’hui, j’ai démarré à 6h45 et j’ai fini à 14h16, je n’ai pas eu le temps de déjeuner. » Même sentence pour Juliette Dayre.
 

Limiter la casse

 
Viviana Araujo a donc souvent « la sensation de faire du travail bâclé, de faire une course contre la montre permanente. J’essaye de faire au plus vite et au mieux, mais je n’ai pas de sentiment de satisfaction à la fin de la journée. J’ai justement le sentiment d’avoir limité la casse… »
 
Si les médecins de Saint-Antoine ne sont pas en grève, ils la soutiennent. À l’image du Dr Youri Yordanov, maître de conférences des universités-praticien hospitalier (MCU-PH) à Saint-Antoine.
 
Selon lui, « le mouvement social est légitime car, même s’il est très enrichissant humainement, il faut reconnaître la difficulté et la pénibilité du métier de soignant. Sans oublier le fait qu’il faut travailler le week-end et en horaires décalés... »
 
Youri Yordanov considère donc qu’il faut « valoriser le rôle et la place du personnel paramédical. Pour pérenniser nos équipes, il faut leur donner plus de reconnaissance financière, mais aussi des perspectives d’évolution dans leurs carrières. »
 
Le médecin plaide aussi pour une « valorisation intellectuelle » à travers les protocoles de coopération« qui permettent de déléguer une partie de notre activité aux infirmiers, et inversement. Cela permettrait au personnel paramédical de monter en compétences, à l’image du dispositif infirmiers en pratiques avancées (IPA). »


 
Et de demander de tenir compte du groupe de travail sur le référentiel des effectifs soignants dans les services des urgences de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP). Dans un courrier envoyé le 9 avril aux syndicats en grève, Martin Hirsch proposait en effet de mieux tenir compte de l'activité en ajustant les effectifs à l'évolution du nombre de passages.
 
Il s’engageait à prendre en compte le référentiel existant (celui de Samu-Urgences de France, qui prône 700 postes supplémentaires) pour le personnel médical. Tout en construisant en parallèle pour le personnel soignant « un autre référentiel adapté aux spécificités organisationnelles de chaque service ». L’Union syndicale de l’AP-HP avait refusé de participer à ce groupe de travail en période de grève.
 
La secrétaire de la CGT, Aïcha Haccoun, conteste également l’idée d’un référentiel spécifique à l’AP-HP. Elle rejette la proposition de Martin Hirsch qui voudrait « mettre en place un autre référentiel qui se baserait sur l’activité des hôpitaux de l’AP-HP. Or, on ne va pas retravailler sur quelque chose qui a déjà été acté (le référentiel de Samu-Urgences de France, NDLR). »  
 
Enfin, quand on demande à Youri Yordanov pourquoi les médecins ne font pas grève, il répond : « C’est difficile de se mobiliser quand ce n’est pas ton combat. Nous soutenons les équipes en grève et le collectif inter-urgences, c’est une évidence. Mais si tout le reste de l’hôpital se met en grève, on élargira tellement le débat qu’on noiera les revendications très spécifiques et très légitimes du personnel paramédical. Et elles risquent de passer à la trappe… »
 
Selon lui, « si les médecins rejoignaient le mouvement, celui-ci serait moins identifié, plus brouillon, et serait donc moins efficace. »
 
Pas sûr que le personnel paramédical soit du même avis…
 

Mercredi 15 mai. Un parfum d'Éden flotte dans les allées fleuries de l’hôpital Saint-Antoine (Paris). Pas un nuage dans le ciel. Le soleil diffuse ses rayons d’espoir sur les silhouettes qui déambulent dans l’enceinte de l’établissement. Une lumière d’espoir dont ont cruellement besoin les personnels paramédicaux des urgences de Saint-Antoine qui sont en grève depuis le 18 mars, suite à une série d'agressions.
 
Les traits tirés par une longue journée de travail, une infirmière et une aide-soignante de l’hôpital nous reçoivent dans un bureau à l’abri des regards indiscrets. « Ici, c’est la chasse aux sorcières », nous confie l’une d’entre elles quand on lui demande s’il est possible de la prendre en photo. Leurs visages n'apparaitront donc pas trop sur les photos.
 
Un climat délétère confirmé par Aïcha Haccoun, la secrétaire de la CGT à Saint-Antoine : « Le personnel et les syndicats sont dans le collimateur de la direction car ils sont les précurseurs de la grève des urgences. Nous sommes les fers de lance du mouvement, donc on ne veut pas que ça s’ébruite… »

 
Tout a démarré le 13 janvier dernier : deux infirmières et une aide-soignante ont été agressées par un patient. Résultat : une interruption temporaire de travail (ITT) de huit jours pour chacune d'entre elles. « Les agressions sont l’élément déclencheur de la grève, confirme Juliette Dayre, une infirmière du service des urgences (SU) qui a rejoint le mouvement social de Saint-Antoine. Les urgences ont connu six agressions entre mi-janvier et mi-mars. »
 
Un préavis de grève illimitée a été déposée le 12 mars par le syndicat SUD, rejoint par la CGT et FO, pour réclamer une meilleure sécurisation des locaux et du personnel. Mais aussi des effectifs supplémentaires et une prime de 300 euros nets par mois, en reconnaissance de la difficulté de ces conditions d'exercice.
 
Le personnel paramédical demandait notamment la réparation de quatre interphones (sur treize) des boxes de consultation. « On se retrouve seul à seul avec les patients dans ces boxes quand on ferme la porte, précise Juliette Dayre. Les interphones permettent d’appeler à l’aide en cas d’agression, d’arrêt cardiaque ou de convulsion. »

Et de déplorer : « C’est malheureux de devoir se mettre en grève pour que l’on répare ce qui devrait fonctionner et être vérifier pour que le service fonctionne normalement… On ne devrait pas avoir à quémander ce genre de réparations… »
 
Le personnel en grève a donc émis les revendications suivantes. Premièrement, la présence d’un agent de sécurité 24h/24, 7j/7 dans les SU, ce qui a fini par être obtenu. « Certes, les agents de sécurité n’ont pas le droit de toucher les patients, mais cela permet de temporiser dans certaines situations, de prendre le temps de discuter », explique Juliette Dayre.
 
Deuxième revendication sur le volet « sécurité » : sécuriser les locaux avec des caméras de vidéo-surveillance. « Il y en avait déjà mais on ne pouvait pas visionner les images, on ne voyait rien… », précise Viviana Araujo, une aide-soignante également en grève.
 
Troisième revendication : sécuriser les portes SU pour filtrer les accès. « Cela fait des mois qu’on a fait la demande, sans succès… soupire Viviana Araujo. Or, aujourd’hui encore, on fait semblant de taper un code pour faire croire que cela fonctionne… »
 

« On vient pour soigner, pas pour se faire frapper »

 
« Nos revendications sont légitimes, estime Juliette Dayre. On ne demande pas non plus des choses de dingue, on ne demande pas de partir en vacances aux Seychelles ! On demande juste que les locaux et les personnels soient sécurisés pour éviter les agressions sur notre lieu de travail. On vient pour soigner, pas pour se faire frapper ou insulter. »
 
Quant à Viviana Araujo, elle considère que « les conditions de travail, qui ne sont déjà pas faciles à la base, deviennent d’autant plus difficiles quand on se fait agresser sur le lieu de travail. Les agressions débouchent sur des traumatismes et la confiance finit par se rompre…. Quand on est dans la crainte constante de subir une agression, cela devient quasi impossible de travailler... »
 
La direction a fini par entendre en partie les grévistes. Selon les deux infirmières, un agent de sécurité est présent tous les jours de 7h à 19h, plus deux agents de 19h à 7h. La direction a également installé des caméras de vidéo-surveillance avec un retour écran. De plus, deux interphones (sur quatre) endommagés ont été réparés. Enfin, le personnel en grève a décroché un rendez-vous avec la direction pour sécuriser les portes d’accès aux urgences.

Bien lotis en termes d’effectifs

 
Tout n’est pourtant pas complètement noir à Saint-Antoine, nuancent les infirmières. « Certes, le personnel est épuisé et les agents se mettent en arrêt comme dans tous les SU de France, mais on est plutôt bien lotis en termes d’effectifs, ce qui n’est pas le cas d’autres SU de l’AP-HP où la situation en termes d’effectifs est gravissime », selon Viviana Araujo.
 
À titre d’exemple, contrairement à d’autres établissements, les infirmiers et les aides-soignants de Saint-Antoine disposent de « zones de soins spécifiques pour s’occuper des patients », ajoute Viviana Araujo.
 
Mais ce qui a le don d’exaspérer les deux infirmières, c’est que les aides-soignants « embauchés » multiplient les contrats précaires. « Il y a 15 ans, les aides-soignants étaient stagiairisés au bout de trois mois et titularisés au bout d’un an, constate Juliette Dayre. Aujourd’hui, la règle, c’est le renouvellement permanent des CDD. De plus, on ne remplace pas les personnes qui partent en congés maternité. »
 
Aux dernières nouvelles, deux aides-soignants auraient été stagiairisés depuis le début du mouvement, le 1er avril et le 1er mai. Mais le personnel demande trois « stagiairisations » de plus.
 
De son côté, la secrétaire de la CGT Aïcha Haccoun, revendique « plus d’effectifs car les objectifs des agents augmentent sans que la direction tienne compte de l’augmentation de l’activité. On demande toujours plus aux agents, on leur ajoute de l’activité, de la traçabilité, des commandes de médicaments ou de matériel… »
 

Faire craquer les agents

 
L’objectif de la direction selon Aïcha Haccoun ? « Faire craquer les agents, les pousser à la faute, afin de virer les fonctionnaires et embaucher à leur place des CDD. Martin Hirsch a annoncé qu’il y avait 800 postes à rendre sur tous les établissements de l’APHP en 2019, sachant qu’il y en avait déjà 800 à rendre en 2018. »
 
Selon elle, la direction veut faire passer le message suivant : « Vous voyez bien que cela ne fonctionne pas, que les agents n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs… donc il faut fermer l’hôpital. On fait tout pour que cela ne fonctionne pas… »
 
Autre motif de mécontentement soulevé par les deux infirmières : « Martin Hirsch (le directeur général de l’AP-HP, NDLR) a sucré sept jours de repos avec la réforme de l'organisation du temps de travail (OTT) qui est entrée en vigueur en 2017 », selon Juliette Dayre.
 
Concrètement, l’OTT, c’est la disparition de l’organisation du travail en 7h50. « Donc, pour nous, les infirmières, le schéma horaire est maintenant de 7h36, ce qui fait 7 jours de repos en moins, poursuit Juliette Dayre. Pour d’autres, c’est l’introduction de l’organisation du travail en 7h30 et c’est 10 jours de repos en moins dans l’année. »
 
Et Viviana Araujo de compléter : « Les minutes perdues son amputées sur notre temps de transmission qui est un moment crucial pour la prise en charge des patients. Or, quand on écourte ce temps de transmission pour rentrer dans les 7h36, soit on met le patient en danger car des informations peuvent passer à la trappe, soit on ne sort pas à l’heure et on perd du temps qu’il est impossible de récupérer. »

Une prime de 300 euros

 
Le personnel en grève réclame également une prime de 300 euros « pour tenir compte de la pénibilité et de la difficulté de notre métier dans les SU, plaide Juliette Dayre qui ajoute : « L’activité du service augmente constamment, on a de moins en moins de lits, les agressions augmentent, sans oublier les risques infectieux… »
 
Embauchée il y a sept ans à Saint-Antoine comme aide-soignante, Viviana Araujo gagne à peine 1900 euros bruts et travaille un week-end sur deux. Elle demande donc « une reconnaissance financière » qui tienne compte « de la difficulté croissante de ses conditions de travail. »
 
« Tout le monde nous dit que l’on mérite d’être mieux payés, observe Juliette Dayre. J’entends ce discours depuis 15 ans, mais notre salaire n’augmente pas tandis que notre charge de travail continue à augmenter. L’indice des fonctionnaires est gelé depuis une dizaine d’années »
 
Quant à la secrétaire de la CGT, Aïcha Haccoun, elle se dit opposée au versement d’une prime de 300 euros « car elle ne rentre pas dans la revalorisation salariale et le calcul de la retraite. De plus, ces primes sont assujetties à un service. Donc, le jour où vous quittez les urgences, c’est la fin de la prime ». Elle demande donc que « la prime de 300 euros soit actée pour tout le monde, sous la forme d’une revalorisation des salaires et des primes. »


 
Pour en revenir aux conditions de travail, l’augmentation de la charge de travail oblige parfois les soignants à êtres maltraitants malgré eux : « Quand on rentre chez soi après le travail, on se rend qu’on a forcément été maltraitant avec quelqu’un, déplore Juliette Dayre. On n’a pas l’impression de faire un travail correct et digne. »
 
Et d’ajouter : « Il y a des jours, où on n’a pas le temps d’amener les personnes âgées aux toilettes, donc on ne leur pose pas la question et on leur met un bassin sous les fesses. Voilà pourquoi les infirmières se cassent au bout de trois ans pour travailler en libéral. »
 
Quant à Viviana Araujo, elle avoue « user sa santé ». En effet, elle « travaille debout toute la journée », n’a parfois « pas le temps de pisser ou de boire un verre d’eau », ni de faire une pause déjeuner :
 
« Aujourd’hui, j’ai démarré à 6h45 et j’ai fini à 14h16, je n’ai pas eu le temps de déjeuner. » Même sentence pour Juliette Dayre.
 

Limiter la casse

 
Viviana Araujo a donc souvent « la sensation de faire du travail bâclé, de faire une course contre la montre permanente. J’essaye de faire au plus vite et au mieux, mais je n’ai pas de sentiment de satisfaction à la fin de la journée. J’ai justement le sentiment d’avoir limité la casse… »
 
Si les médecins de Saint-Antoine ne sont pas en grève, ils la soutiennent. À l’image du Dr Youri Yordanov, maître de conférences des universités-praticien hospitalier (MCU-PH) à Saint-Antoine.
 
Selon lui, « le mouvement social est légitime car, même s’il est très enrichissant humainement, il faut reconnaître la difficulté et la pénibilité du métier de soignant. Sans oublier le fait qu’il faut travailler le week-end et en horaires décalés... »
 
Youri Yordanov considère donc qu’il faut « valoriser le rôle et la place du personnel paramédical. Pour pérenniser nos équipes, il faut leur donner plus de reconnaissance financière, mais aussi des perspectives d’évolution dans leurs carrières. »
 
Le médecin plaide aussi pour une « valorisation intellectuelle » à travers les protocoles de coopération« qui permettent de déléguer une partie de notre activité aux infirmiers, et inversement. Cela permettrait au personnel paramédical de monter en compétences, à l’image du dispositif infirmiers en pratiques avancées (IPA). »


 
Et de demander de tenir compte du groupe de travail sur le référentiel des effectifs soignants dans les services des urgences de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP). Dans un courrier envoyé le 9 avril aux syndicats en grève, Martin Hirsch proposait en effet de mieux tenir compte de l'activité en ajustant les effectifs à l'évolution du nombre de passages.
 
Il s’engageait à prendre en compte le référentiel existant (celui de Samu-Urgences de France, qui prône 700 postes supplémentaires) pour le personnel médical. Tout en construisant en parallèle pour le personnel soignant « un autre référentiel adapté aux spécificités organisationnelles de chaque service ». L’Union syndicale de l’AP-HP avait refusé de participer à ce groupe de travail en période de grève.
 
La secrétaire de la CGT, Aïcha Haccoun, conteste également l’idée d’un référentiel spécifique à l’AP-HP. Elle rejette la proposition de Martin Hirsch qui voudrait « mettre en place un autre référentiel qui se baserait sur l’activité des hôpitaux de l’AP-HP. Or, on ne va pas retravailler sur quelque chose qui a déjà été acté (le référentiel de Samu-Urgences de France, NDLR). »  
 
Enfin, quand on demande à Youri Yordanov pourquoi les médecins ne font pas grève, il répond : « C’est difficile de se mobiliser quand ce n’est pas ton combat. Nous soutenons les équipes en grève et le collectif inter-urgences, c’est une évidence. Mais si tout le reste de l’hôpital se met en grève, on élargira tellement le débat qu’on noiera les revendications très spécifiques et très légitimes du personnel paramédical. Et elles risquent de passer à la trappe… »
 
Selon lui, « si les médecins rejoignaient le mouvement, celui-ci serait moins identifié, plus brouillon, et serait donc moins efficace. »
 
Pas sûr que le personnel paramédical soit du même avis…
 

Comment s’est déroulé le reportage ? Nous avons pris contact en amont avec la CGT et le collectif Inter-Urgences de Saint-Antoine. C’est Aïcha Haccoun, la secrétaire de la CGT à Saint-Antoine, qui nous a reçu dans son bureau, après s’être entretenue avec une psychologue de l’hôpital qui serait victime de harcèlement : « Elle est harcelée car elle ne fait pas suffisamment d’activité au dire de la direction, alors qu’elle programme son activité en fonction de la demande des médecins, nous a confié Aïcha Haccoun. C’est la même chose pour les soignants à qui on fixe des objectifs sans tenir compte de l’activité. » Après avoir échangé avec la secrétaire de la CGT, nous avons rencontré dans un bureau une infirmière et une aide-soignante du collectif Inter-Urgences. Avant de convaincre le médecin de dire un mot sur le mouvement social. Nous avons conclu le reportage en partant photographier les banderoles à l’entrée des urgences. C’est à ce moment-là que nous avons eu la surprise de croiser dans une allée, Martin Hirsch, le directeur général de l’AP-HP en discussion avec Christine Welty, la directrice préfiguratrice d'AP-HP, entourés par ce qui ressemblait à des agents de sécurité. Nous avons donc gentiment attendu la fin de leur discussion, avant d’aller prendre nos photos !
 

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