Un MG agressé dans son cabinet à Bobigny

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La communauté Twitter s’enflamme

Un MG agressé dans son cabinet à Bobigny

Le Dr Thomas Cartier ne s’attendait pas à autant de réactions en partageant le récit de son agression sur Twitter. Celui-ci a déclenché une vague de sympathie, notamment de la part de confrères… et des tentatives de récupération. Mais la grogne tarde à se faire entendre sur la place publique.

C’était le matin du 5 mars dernier. Après huit ans d’exercice en banlieue, et trois à Bobigny à côté de l’hôpital Avicenne (AP-HP), le Dr Thomas Cartier, jeune généraliste de 34 ans, a été agressé par un père qui exigeait que sa fille de dix mois soit reçue immédiatement. Le médecin lui a proposé un rendez-vous dans l’après-midi, auquel celui-ci a répondu par un poing tendu et des menaces physiques, et de mort.

Thomas Cartier, contre son gré, a finalement accepté de l’examiner après sa consultation en cours, afin de se protéger lui-même, mais aussi sa jeune externe, impliquée par sa présence dans l’altercation. Pour faire entendre son ras-le-bol, et sans doute aussi un peu pour évacuer, le généraliste a décidé de raconter son histoire sur Twitter (récit complet sous cet article).

Une vague de soutien

Et il ne s’attendait pas à autant de réactions. « Je ne sais pas si j’ai bien géré les choses, mais la popularité de mon tweet initial, alors que malheureusement j’ai beaucoup de confrères et de collègues qui ont vécu pire que moi, m’a totalement surpris », a-t-il expliqué dans un nouveau fil de messages ce dimanche soir.

Parmi les réactions qu’il a suscitées, de nombreux soutiens de confrères, qui tentaient de le guider dans les démarches, ou s’associaient simplement à son découragement. D’autres interventions concernent des personnalités politiques, qui en ont profité pour faire un peu de récupération politique anti-Macron.

D’autres, bien plus virulentes – et à côté de la plaque – sont venues émailler le thread. « J'ai malheureusement dû bloquer un certain nombre de personnes très agressives avec moi, pour la plupart de l'extrême-droite, mais aussi certaines de l’extrême-gauche », spécialistes pour intervenir à côté du sujet.

Un sujet de fond

Le message initial a « été vu plus de 600 000 fois, 4700 retweets, 3400 like, 451 réponses », note Thomas Cartier, qui s'étonne de ce succès. Des chiffres indicateurs des germes de la révolte ? Entre la tension démographique, les journées interminables, les revendications sur la rémunération, les patients qui souffrent eux aussi des problèmes de la médecine générale, et donc les agressions, la vague de réactions tend à montrer un certain mouvement de fond d’exaspération.

Le généraliste agressé explique les raisons de son geste : « Pour éviter que d'autres refassent la même erreur que moi. Pour que les jeunes médecins qui voudraient potentiellement s'installer en ZUP ne le fassent pas. Je ne vois pas pourquoi, sans aucune aide ou protection face à la violence qui gangrène ces quartiers, les professionnels de santé libéraux devraient continuer à y aller. Quand je me suis installé, l'esprit de dévouement, je l'avais chevillé au corps. Maintenant que j'ai vu à quel point personne n'en a rien à foutre des efforts qu'on fait, que ce soit les politiques locaux, la Sécu, les tutelles ou même une sacrée belle frange de patients, franchement ça ne vaut pas le coup. Que du désincitatif… », déplore-t-il.

Une lassitude que partagent nombre de ses confrères, et qui se répercutera sans doute sur les patients de ces zones où l’activité médicale s’accompagne d’insécurité. Lorsqu’un généraliste s’installe, compte-tenu de la pénurie, il est désormais courtisé (presque) partout en France. Pourquoi irait-il prendre des risques en s’installant là où les médecins se font agresser ?

Thomas Cartier avait pris une décision avant son altercation. Il quittera son cabinet de Bobigny dans quatre semaines, pour partir en Nouvelle-Zélande.

Trois agressions par jour

Les agressions de médecins sont de plus en plus fréquentes. En 2016, 968 ont été déclarées auprès de l’Observatoire de la sécurité des médecins, soit le plus haut total depuis sa création, en 2003. Les généralistes y sont surreprésentés, avec près de deux tiers des incidents rapportés. Environ 7 % des agressions sont physiques, et dans deux tiers des cas, l’agresseur est le patient ou son accompagnant.

La grogne se fait entendre sur Twitter, où la communauté médicale est de plus en plus active, comme nous avions pu l’observer lors de la campagne plus légère des #CDOMduWebe. Mais les généralistes sont encore curieusement discrets sur la scène publique et politique. Ils n’ont sans doute pas le temps d’en faire plus…

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Le Dr Thomas Cartier raconte son agression sur Twitter

« Mon expérience de 8 ans de #médecindebanlieue n'aurait pas été parfaite sans des menaces de coups et de mort à mon cabinet. C'est chose faite aujourd'hui, par un caïd de la cité, qui a interrompu le fil de mes consultations pour m'ordonner de voir sa fille d'une dizaine de mois qui avait vomi toute la nuit et qui l'avait empêché de dormir.

Il criait dans la salle d'attente avoir déjà cassé la gueule, quelques minutes avant, d'un autre collègue libéral et qu'il n'hésiterait pas à le faire à tout médecin qui refuserait sa fille. J'ai essayé de le raisonner de trouver un entre-deux en lui proposant un rdv surnuméraire en début d'après-midi, non il voulait que ce soit maintenant. Ça a fini, avec ses insultes, sa rage et surtout son poing tendu, prêt à frapper à quelques centimètres de mon visage... mais aussi de celui de mon externe.

Parce que j'ai voulu, elle, la protéger, j'ai accepté de le voir en fin de matinée. J'ai essayé de continuer la consultation avec les patients avec qui j'avais commencé. Ce fut très difficile. J'ai appelé la police pendant que je l'entendais maugréer dans la salle d’attente, en attendant son tour. 20 minutes après, devant l'absence d'arrivée de la police, je leur ai demandé d'annuler.

Ce fou avait raison. Il m'avait menacé que si j'appelais la police, il me retrouverait dans la cité et me pèterait la gueule et plus encore... La police serait arrivée au pire l'aurait embarqué au poste, et ensuite ? Il aurait été libre de revenir au cabinet à tout moment ou me croiser dans la cité pendant une visite à domicile et effectivement me refaire le portrait ou pire. Je me suis senti terriblement seul. Sans issue ou échappatoire à sa violence si jamais je ne me pliais pas à sa volonté. Je me suis donc plié à sa volonté.

Et il a voulu ajouter une couche d'humiliation supplémentaire quand, au moment de payer, il m'a sorti un gros billet issu dont on ne sait quel trafic, en me disant « prenez-vous 20 € là-dessus, pour le désagrément ». J'ai marmonné un truc du genre « ce n'est pas une question d'argent, mais une question de comportement » et il s'est barré. Sa fille allait bien. Elle jouait même dans la salle d'attente.

J'ai appelé mon confrère, en fait, il ne lui avait pas cassé la figure du tout, il était arrivé moins énervé que chez moi (mais tout de même pas mal) et mon confrère l'avait refusé car il était en train de s'occuper d'une petite qui faisait des convulsions hyperthermiques. La consultation terminée, j'ai eu les larmes aux yeux. J'ai tout fait pour protéger mon externe, qui, en plus, se trouvait physiquement entre moi et lui au moment où il avait failli me frapper et ça c'est le seul point positif que j'en retiens.

Mais quelle image va-t-elle avoir de la médecine générale après cela ? Je débrieferai à distance avec elle, car je crois qu'elle a été tout aussi choquée que moi, mais ne l'a pas montré. Moi, j'avais les larmes aux yeux. Mon collègue kiné, qui bossait dans une pièce à côté, est venu me réconforter, heureusement.

Depuis 6 semaines, j'ai donc enchaîné vol de mon portable dans un car-jacking, dégradations de mon cabinet, dégât des eaux chez moi (qui va repousser mon départ en NZ selon toute vraisemblance) et maintenant ça. Des patients insistants, véhéments, menaçants, j'en ai déjà eu à gérer. Mais des menaces de mort, une violence à 2 doigts d'exploser, le tout devant mon externe, mes patients, sans aucun échappatoire que d'accepter l'humiliation histoire que tout rentre dans le calme, ça jamais.

Il me reste 4 putains de semaines à tenir. 4 PUTAINS DE SEMAINES J'irai porter plainte ensuite, quand je sais que je ne remettrai plus les pieds dans ce quartier. Il y a au moins 5 témoins pour approuver mes dires. Mais bon, comme d'habitude à Bobigny, dans cette zone de non-droit, je suis à peu près certain que, malgré ma plainte, il passera entre les mailles du filet judiciaire troué jusqu'à la lie.
 

Et le pire dans tout ça, peut-être ? La façon dont il a déshabillé son enfant pour que je l'examine. Avec une brutalité que j'ai rarement vue. Le gamin s'en est mis à pleurer toutes les larmes de son corps. J'avais mal pour elle, d'être née et élevée dans une famille aussi conne, avec un père aussi violent. A vrai dire, je me rends compte que je ne sais même plus si c'était un garçon ou une fille que j'ai examiné(e), en faisant ce récit. Le choc, probablement. Demain on y retourne. Ou pas... »

Source:

Jonathan Herchkovitch

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