
What's up Doc : Qu’est-ce qui vous a amené à devenir gériatre ?
@lajeunegeriatre : J'ai un parcours un peu atypique. J'ai fait mes six premières années de médecine en Espagne, à Madrid. Ensuite, j'ai décidé de rentrer en France pour passer le concours d'internat.
À l’issue des ECN, j'ai choisi la gériatrie. Je le reconnais, c’est un choix assez atypique. Pour ma part, je suis passionnée de neurologie et des spécialités assez transversales, comme la médecine interne où il y a énormément de pathologies différentes.
Quand on est gériatre, on est spécialisé dans une tranche d'âge et pas dans un organe en particulier.
Dans ma spécialité, on prend une personne selon son âge et on doit gérer absolument toutes ces pathologies, qu'elles soient cardio, neuro, etc. Un gériatre doit avoir des connaissances sur tout.
En plus de ça, j'aime beaucoup travailler avec les personnes âgées, c'était parfait pour moi.
J’aimerais me sur-spécialiser grâce à des DU par la suite. En premier, je souhaiterais faire celui de neuro-gériatrie.
Comment les gens autour de vous ont réagi lorsque vous leur avez dit avoir choisi la gériatrie comme spécialité ?
@lajeunegeriatre : Ma famille a très bien réagi, elle savait que ça me correspondait parfaitement. Mais c'est vrai que ça n’a pas été le cas forcément de mes amis ou d'autres étudiants en médecine. Certains m’ont dit : « Mais non, tu ne vas pas faire ça ?! C'est nul les personnes âgées. Tu vas t'occuper que de fins de vie, ce n’est pas intéressant de juste voir des personnes mourir. »
Ces personnes, en réalité, ne connaissent pas la gériatrie. Ils ont beaucoup d’aprioris.
La gériatrie commence en général vers 75 ans. Nous avons des patients qui ont un très bon état de santé général. C’est faux de penser qu’on ne fait que des fins de vie. Certes nous y sommes confrontés, il y a des situations un peu tristes, mais il y a d’autres aspects très intéressants dans cette spécialité.
« Il y a certaines personnes âgées qui ont des troubles cognitifs, de la démence. Il faut avoir de la patience. »
Quelles sont les qualités principales pour devenir gériatre ?
@lajeunegeriatre : Il faut être très emphatique et à l'écoute. Il y a certaines personnes âgées qui ont des troubles cognitifs, de la démence. Il faut avoir de la patience.
Aussi c’est une des spécialités où on est plus confronté aux familles, comme les pédiatres. Il faut être pédagogue, savoir bien tout expliquer.
Selon moi, les maîtres mots sont : empathie, patience et pédagogie.
Y’a-t-il eu des situations marquantes ou des anecdotes que vous aimeriez nous partager ?
@lajeunegeriatre : Je suis toujours très attendrie par les patients qui sont en couple. Je me souviens d’une patiente qui était hospitalisée. Son compagnon passait des heures avec elle chaque jour.
Ils me racontaient leur rencontre, leur parcours de vie, comment ils ont fait pour rester en couple autant de temps, qu'ils ont toujours été là l'un pour l'autre.
Les personnes âgées ont toujours plein d'histoires à raconter de par leur vécu. Des belles histoires d'amour comme celle-ci, sont toujours passionnantes à écouter.
Autre chose, cela nous arrive d’avoir des patients en fin de vie complètement seuls, sans famille. C'est triste de voir un patient dans sa chambre, sans personne pour lui tenir la main ou lui rendre visite avant qu'il décède.
« Nous sommes présents autant que possible pour [les patients âgés isolés]. Mais, en réalité, on ne sait absolument rien sur eux, sur leurs goûts, sur la façon dont ils imaginaient leur fin de vie. »
Une fois, nous avons trouvé un petit carnet avec des numéros de téléphone dans les affaires d’un patient. Nous les avons appelés et nous avons retrouvé des membres de sa famille avec qui il n’avait plus contact depuis 20 ans. Au final, ils sont venus, lui ont apporté des fleurs, ils lui ont fait écouter ses musiques préférées.
C’est très important, parce que nous, nous sommes présents autant que possible pour ces personnes. Mais, en réalité, on ne sait absolument rien sur eux, sur leurs goûts, sur la façon dont ils imaginaient leur fin de vie.
Après, un autre évènement qui m’a marquée, mais je pense que c’est pareil pour tous les médecins : le premier décès. C’est vrai que les décès sont plus fréquents en gériatrie et lorsqu’on suit nos premiers patients en tant qu’interne, on s'attache beaucoup
Comment on gère justement ce nombre plus important de décès quand on est gériatre. Ce n’est pas trop dur ?
@lajeunegeriatre : Au début, c'est dur. Ça l’est d’autant plus quand on doit constater le décès nous-mêmes. Mais, le plus compliqué reste de l'annoncer aux proches.
Lorsque j’ai commencé mon internat, j’étais comme une éponge. J’absorbais les émotions de la famille. Après le premier décès, lorsque je suis rentrée chez moi, j'étais bouleversée. Je pensais à la famille non-stop.
Au final, on s'y habitue, on est obligé. Je reste triste, bien sûr, c’est humain. Mais, j’ai appris à garder de la distance pour que ça n’affecte pas trop mon quotidien. C’est le temps qui fait qu’on s’endurcit.
« On m'a même dit qu'un gériatre ça ne sert qu’à "masser les jambes des personnes âgées." Je ne voulais plus entendre ce genre de choses. »
Comment vivez-vous l’importante différence d’âge entre vous et vos patients, surtout en tant qu’interne pour le moment ?
@lajeunegeriatre : La première fois qu'ils me voient, ils ne s'imaginent pas que je suis médecin. Ils pensent que je suis infirmière. Lorsque je leur explique que non, leur réaction en général c’est : « Vous êtes super jeune ! C’est super ! Un peu de jeunesse, ça ne fait pas de mal. »
Ensuite, on arrive à avoir des sujets de conversation malgré l’écart d’âge parce qu’on apprend de leur maturité et de leur vécu. Lorsqu’on est jeunes, on leur raconte des choses peut-être plus « légères », ça leur fait passer le temps !
Vous êtes connue sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, sous le pseudo @lajeunegériatre. C’était une volonté de votre part de vous faire connaitre, ou c’est arrivé par hasard ?
@lajeunegeriatre : Quand j'ai commencé à dire à mon entourage que je voulais être gériatre, j'ai eu les réactions dont je vous ai parlé précédemment. On m'a même dit qu'un gériatre ça ne sert qu’à « masser les jambes des personnes âgées. » Je me suis dit que je ne voulais plus entendre ce genre de choses.
J’avais aussi l'impression que 90 % des personnes ne savaient pas ce que c’était la gériatrie concrètement. Ça ne me dérangeait pas de m'exposer donc j’ai décidé de parler de ma spécialité pour faire changer les mentalités.
La population vieillit, nous avons besoin de gériatres. Le but est de montrer, notamment aux étudiants en médecine, que c'est une spécialité intéressante !
Y’a-t-il des abonnés qui vous ont dit avoir choisi la gériatrie après avoir vu votre contenu sur les réseaux sociaux ?
@lajeunegeriatre : Oui, ça m'est arrivé ! J'ai eu des retours d'étudiants qui m'ont dit avoir pris un stage en gériatrie alors qu’il ne comptait pas du tout le faire à l’origine. Certains m’ont même dit : « J'ai adoré et j'ai envie d'être gériatre. » C'est très satisfaisant de l’entendre !
Qu'est-ce que vous pourriez dire à nos lecteurs, encore étudiants, qui se posent des questions sur leur choix de spécialité ?
@lajeunegeriatre : Je leur dirais qu’il est important de passer au moins une fois en gériatrie durant l’externat. Il y en a qui ne passent pas du tout en gériatrie parce qu’ils ont des idées reçues. Je les encourage à le faire, simplement par curiosité. Aussi pour voir la spécialité de l’intérieur, et faire un choix éclairé par la suite !