
© DR.
What's up Doc : Vous avez repris vos études de médecine à l’âge 56 ans, pourquoi ?
Bernard Pino. J’ai commencé médecine à la fin des années 1970. En 6e année, j’ai dû les abandonner pour des raisons financières. Pendant plus de 30 ans, je me suis consacré à mon activité professionnelle dans le monde de l’édition… Mais avec toujours le regret de ne pas être devenu médecin.
En 2012, mes enfants avaient grandi, j’ai décidé de me réinscrire à la fac. J’ai demandé à reprendre en 4e année, car entre-temps, la médecine avait énormément évolué : scanner, échographies, IRM, prise en charge des maladies graves...
« Dans l'amphi, j'avais l'âge d'être plus vieux que les profs »
Quel est votre souvenir du premier cours à votre retour sur les bancs de la fac ?
BP. J’arrive dans l’amphi avec mon petit sac à dos et mes notes et m’assieds au fond. J’avais l’âge d’être plus vieux que les profs, je faisais un peu tache. À la pause, un étudiant vient à ma rencontre : « Bonjour Monsieur, que faites-vous ici ? ». Je lui réponds que je suis étudiant comme lui et lui raconte mon histoire. Il me rétorque en plaisantant que « ça en fera un de plus pour les tours de garde », et m’invite à rejoindre son groupe.
Et votre premier contact avec les patients en stage ?
BP. Pendant mon premier stage d’externe, je m’apprête à aller voir mon premier patient, et prends dans ma poche de la vaseline et un doigtier. La cheffe me regarde et me demande pourquoi j’emporte ce matériel avec moi. Je lui réponds naïvement que c’est pour faire un toucher. Eh bien non ! (Rires) À mon époque, cela faisait partie de l’examen systématique, au même titre que l’auscultation, l’écoute des poumons et la palpation de la vessie.
« Les patients appréciaient plutôt l'idée d'avoir un interne de 60 ans »
Comment se déroule l’internat à 60 ans ?
BP. J’ai commencé par les urgences. L’ambiance était plutôt bonne avec mes collègues. Habitué à travailler jour et nuit dans ma précédente carrière, pas de problème avec le rythme. Les patients, eux, avaient un peu du mal à comprendre que je n’étais « que » l’interne et qu’un senior allait passer les voir. Mais après, ils appréciaient plutôt l’idée d’avoir un interne de 60 ans.
Et avec la hiérarchie, ça s’est bien passé ?
BP. Non, la cheffe de service et son assistant n’aimaient pas les vieux. J’ai vite compris qu’ils avaient un problème avec moi. D’autant plus que la responsable des internes dans l’hôpital était la fille de cette cheffe. Le moindre prétexte était l’occasion pour eux de me tomber dessus. Je n’avais jamais de retour positif sur mon travail.
À la fin de ce stage, tous mes co-internes ont été validés, sauf moi à la surprise générale, car je n’étais pas plus mauvais qu’un autre.
Ça ne s’est pas arrêté là. Cette dame s’est empressée d’écrire à tous les chefs des stages que j’ai faits par la suite, pour me mettre des bâtons dans les roues. Cette attitude a eu un effet dramatique sur moi : j’étais dans un état de méfiance et de sidération permanent. J’avais l’impression que toute la hiérarchie me voulait du mal et cela bloquait ma progression. À tel point que j’ai été interdit de faire des stages aux urgences par la suite.
Plus tard, ces courriers, on me les a montrés. J’ai vu à quel point ils étaient diffamatoires. La cheffe de service en question a fini par être virée l’année dernière, suite à quoi j’ai reçu plein de messages de soutien d’anciens collègues. La justice finit toujours par s’imposer.
« Tout se passe très bien aujourd'hui, mais je n'ai pas oublié mon internat qui m'a beaucoup atteint »
À cette période, vous avez songé à (ré)arrêter ?
BP. : Non, car heureusement un responsable de la faculté, qui exerçait en libéral, m’a pris sous son aile. Dès les premiers jours, il a vu que je faisais tout correctement et que les patients étaient ravis. Il m’a remis sur les bons rails et m’a permis de réapprendre tout ce que j’avais oublié. De ce stage en ont découlé d’autres, dont un sur l’île de Sein, que je n’ai presque plus quittée depuis. Tout se passe très bien ici. Mais je n’ai pas oublié cette partie de mon internat, qui m’a beaucoup atteint.