Soigner commence par soi

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Lors de ma brève fonction d’enseignant dans une faculté francaise (c’était en 2005-2007, À Paris - V), j’ai fait une expérience étrange.

Soigner commence par soi

Un matin, j’ai parlé de « l’annonce de la mauvaise nouvelle » à une trentaine d’étudiants de P2 ou D1.

Ils manifestaient une empathie et un enthousiasme contagieux. Je les ai quittés ragaillardi.

Le soir du même jour, je me suis trouvé face à des internes de médecine générale. Lorsque j’ai dit : « Notre rôle de médecin ne consiste pas à dire aux patients comment ils doivent conduire leur vie », plusieurs m’ont rétorqué, avec colère : « Un obèse fumeur, hypertendu avec le cholestérol au plafond, faut quand même qu’on lui dise qu’il va crever s’il continue, non ? » J’ai répondu : « Non. Faut pas. Vous êtes là pour l’écouter, dire de quoi il a besoin ; pas pour l’enfoncer ou le terroriser. S’il aborde ces problèmes-là, d’accord. Si ses priorités sont autres, vous lui foutez la paix jusqu’à ce qu’il en parle. »

À ces mots, j’ai vu une poignée d’étudiants se détendre, hocher la tête et sourire, un petit nombre se fermer farouchement, et un plus grand nombre écarquiller les yeux.

Cela m’a surpris : les étudiants du soir étaient à peine plus âgés que ceux du matin. Mais j’ai appris depuis que, dans tous les pays du monde, les études de médecine « vident » les étudiants de leur empathie.

Un petit nombre seulement (des résilients, des « mutants ») résistent aux violences de la

formation. D’autres sont spontanément dénués d’empathie. Quoique peu nombreux ils aiment le pouvoir hélas ! Devenus enseignants, ils pourrissent la vie du plus grand nombre, dont ils sucent l’empathie naturelle à force de terrorisme, de culpabilisation, de brimades.

Et continuent, insidieusement, à les harceler (ou à les manipuler, pour l’industrie) après leur

installation.

Or – on le dit haut et fort dans toutes les facs en Belgique, aux Pays-Bas, en Angleterre,

en Scandinavie, en Amérique du Nord mais, bizarrement, pas dans toutes les facs en France

on ne peut pas enseigner le soin en maltraitant les (futurs) soignants.

En avril 2013, j’ai assisté à Québec à un colloque intitulé « Creating Space ». C’était un colloque d’humanités médicales, champ disciplinaire qui vise à établir des ponts entre la médecine, les arts et les sciences humaines. Oui, ça existe !… Dans les pays sus-nommés.

Plusieurs communications étaient consacrées aux moyens de développer l’empathie des médecins – ou de prévenir son extinction – grâce au théâtre, à la lecture, l’écriture, le cinéma, la musique. Et ça marche !

Réflexion et expression personnelle ne sont pas incompatibles avec l’apprentissage et l’exercice du soin, au contraire : ils permettent d’être de meilleurs soignants parce qu’ils permettent d’être soi-même. Et les patients le confirment…

Vous ne pouvez pas changer le système, pas plus que je ne l’ai pu quand j’étais étudiant ou jeune médecin.

Mais vous pouvez résister, grâce à une activité qui vous est propre – théâtre, danse, musique, sport, écriture, art martial, peinture et bien d’autres – et qui vous apportera plus

que vos cours et examens.

Alors, racontez-moi ce que vous faites pour vous exprimer. Je devrais dire : pour vous soigner.

* Martin Winckler est médecin généraliste écrivain, auteur de nombreux romans et essais littéraires. Ses débuts ont notamment été marqués par son très célèbre ouvrage La Maladie de Sachs (P.O.L. 1998) qui a révélé son talent dans l’écriture, et sa passion pour son métier [martinwinckler@gmail.com].

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