Santéclair : les réseaux de soins, c’est pas ce que vous croivez

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ENTRETIEN - La directrice générale de Santéclair, Marianne Binst, estime qu’il est possible de travailler avec les médecins, dans l’intérêt des patients. Elle explique l’intention d’une campagne de communication qui avait fait bondir le Dr Marty.

Santéclair : les réseaux de soins, c’est pas ce que vous croivez

Une campagne de communication de Santéclair avait provoqué de vives réactions sur Twitter, notamment de la part de Jérôme Marty, président de l’UFML-S, qui accusait le réseau de soins d’une campagne de dénigrement des médecins. Des réactions dont nous nous étions fait écho. Marianne Binst, directrice générale de Santéclair, a souhaité répondre à ces accusations et expliquer quelle était sa vision du métier.

What's up Doc. « Pas besoin d’être médecin pour bien se soigner ». Une petite provocation ?

Marianne Binst. Les services que nous proposons sont complexes. Et si ce message – qui a été critiqué, a été choisi – c’est justement pour sa simplicité. Je l’assume pleinement et je n’aime pas la manière dont il a été détourné. Ils ont ressorti des dessins vraiment vieux, les vieux dossiers d’un blog pour lequel on faisait appel à un dessinateur un peu poil à gratter. Ça avait très bien fonctionné auprès des clients, mais moins pour les professionnels de santé, alors nous avons arrêté. C’était un style « à la Charlie Hebdo ». À chaque fois que nous avions quelque chose de marrant, c’était un peu la même histoire qu’avec les caricatures du prophète.

Sur le dernier message, « Pas besoin d’être médecin pour bien SE soigner », on ne dit pas « pour soigner les autres ». La prévention, l’observance thérapeutique, s’orienter, l’automédication, est-ce que ça dépend uniquement des médecins ? Nous revendiquons le fait de donner des outils aux patients pour qu’ils fassent leur boulot. Je pense que nous n’aurons pas de progrès majeur dans le système de santé tant que nous ne rendrons pas les patients plus matures sur leur santé. C’est un propos difficilement contestable, je pense. Mais nous ne tentons pas de faire de la médecine à la place des médecins.

Vu les circonstances, et la période de défiance envers les médecins, était-ce opportun ?

M.B. La défiance, c’est justement ce contre quoi nous luttons. Notre équipe médicale est très à cheval sur l’evidence based medicine. Nous ne partons pas dans l’ésotérisme. Ce n’est ni notre intérêt, ni notre culture. J’ai moi-même fait un doctorat dans le domaine de la santé publique. Nous voulons être utiles au plus grand nombre. Quand on rend le patient plus intelligent, on le rend plus vigilant et moins défiant. Et le rendre plus intelligent, ce n’est pas lui dire de s’en remettre exclusivement à son seul médecin. Ce n’est pas de la défiance, mais du discernement.

Qu’est-ce qu’un réseau de soins ?

MB. Alors pour commencer, Santéclair n’est pas qu’un réseau de soins. C’est l’une de nos activités. Notre métier est d’aider les Français, les clients des complémentaires santé, à s’orienter dans le système de santé. Nous proposons des services qui ont trait au prix, au reste à charge. Là-dedans, il y a les réseaux, mais aussi les études de devis, de l’information ou d’autres aspects. Nous proposons aussi des services d’orientation sur la qualité. On voit vite que pour le client, le rapport entre qualité et prix est aussi un élément d’arbitrage.

Nous travaillons également de plus en plus sur des services plus complexes sur l’opportunité du soin. Faut-il aller consulter ? se faire opérer ? aller aux urgences ? L’automédication est-elle plus appropriée dans tel ou tel cas ? Nous proposons enfin des services de deuxième avis médical.

« Pour le client, le rapport entre qualité et prix est un élément d’arbitrage »

Qui sont vos concurrents et vos actionnaires ?

M.B. Sur ce que nous appelons les plateformes d’orientation santé, il y a quatre autres acteurs : Kalixia (16 millions de bénéficiaires), Itélis (réseau AXA, 6 millions), Carte blanche (Générali, Swisslife, 6 millions), Sévéane (Groupama). Santéclair a quatre actionnaires : Allianz, Covéa (Maaf, MMA, GMF), la Mutuelle générale de la police, Ipéca (prévoyance dans l’aéronautique). Nous avons 53 mutuelles clientes (courtiers, assurances, gestionnaires pour comptes), et 10,5 millions de personnes ont accès à nos services.
C’est notre unique mode de rémunération, nous ne sommes pas rémunérés par les professionnels de santé, et nous n’avons pas de conflits d’intérêt. C’est trois euros par an et par personne protégée en moyenne pour avoir accès à l’ensemble de nos services. Un modèle économique assez simple… 

Que prévoit la loi sur vos possibilités d’action ?

M.B. Nous pouvons faire des réseaux en optique, dentaire, audioprothèses, en implantologie dentaire, pour la chirurgie réfractive, avec des ostéos non-médecins (ce qui fâche les ostéopathes médecins, d’ailleurs), des diététiciens, en orthodontie aussi. Depuis la loi Le Roux [votée en 2013, NDLR], nous ne pouvons pas contractualiser avec les médecins.

Pourquoi ont-il été exclus ?

M.B. Parce qu’ils l’ont souhaité, que cela leur semblait une mauvaise idée que nous puissions contractualiser avec eux. Vous connaissez l’efficacité de leur lobbying… À côté, nous sommes des nains.

Ce qui ressort, c’est que leur manière de travailler, leurs tarifs ou leurs prescriptions ne doivent pas relever d’acteurs comme les réseaux de soins. En résumé, qu’ils doivent avant tout être libres de fonctionner et que c’est bien comme ça.

Comprenez-vous les arguments sur les risques de perte de choix du praticien pour le patient, ou des traitements pour le médecin ?

M.B. Je les comprends parce que je pense qu’il serait obtus de ne pas essayer de comprendre leurs craintes. Mais je pense qu’on nous fait souvent un procès en sorcellerie alors que les contacts et les discussions n’ont jamais lieu. C’est toujours « Non, non, non! Circulez, y a rien à voir ». Et je pense que le corps médical est mal informé sur ce que nous pourrions faire ensemble. Je trouve cela dommage, parce qu’il y a forcément des points où l’on s’oppose, et des points où l’on peut être convergents.

Comme avec l’industrie pharmaceutique : lorsqu’on fait une évaluation de l’automédication et que l’on dit que bon nombre de produits sont inutiles, ça agace. Alors que sur l’importance de l’observance thérapeutique, on se retrouve.

Sur le conflit des urgences par exemple, on pourrait discuter sur l’éducation, les outils, les savoir-faire qui permettraient de ne pas y aller à mauvais escient. Pourquoi ne pas discuter sur ces points ? C’est dommage ! Il faut arrêter de dire : « Ceux-là sont les méchants, ceux-là sont les gentils ». Nous n’avons seulement pas le même métier.
 

« Cette sémantique qui consiste à séparer patients et clients est vieillotte, à mon sens »

Le fond du problème n’est-il pas le système qui devient mutualiste, et la différence entre un patient et un client qui se brouille ?

M.B. Peut-être, et c’est là-dessus que nous allons les chatouiller. Lorsqu’on n’est pas malade, on a plein de décisions à prendre pour préserver sa santé. Et là, on est un client ? un patient ? La distinction ne rencontre pas la vraie vie. Les assurés ont beaucoup de choix à faire, qui sont des choix de clients : le choix de l’établissement, de se médiquer ou non… Ce n’est pas un tabou ! Ce sont toujours les mêmes personnes. On peut en appeler à l’esprit critique et à la capacité du patient à se prendre en charge. Et cette sémantique qui consiste à séparer patients et clients est vieillotte, à mon sens. 

Le système ne risque-t-il pas de favoriser le business face au patient ?

M.B. Si c’était ça, je ne ferais pas ce métier. Je n’ai pas rencontré ce type de conflit, car lorsque nous aidons les clients à s’orienter sur le prix, nous n’avons pas intérêt à les orienter vers de la mauvaise qualité. Ce n’est pas bon pour une mutuelle si ce n’est pas durable ou que le client n’est pas satisfait.

Un acte de chirurgie avec dépassement peut être plus avantageux s’il est de qualité ou qu’il évite une réhospitalisation par exemple. En implantologie, on a un réseau vraiment pas cher, avec de très grands spécialistes. Pourquoi ? Parce qu’ils en font énormément, et qu’ils ne font quasiment que cela. La moyenne d’un dentiste, c’est 30 actes d’implantologie par an. Nous n’en prenons pas à moins de 300, et certains en font 3000. On propose à 40 % moins cher que le prix du marché, alors qu’ici on le voit bien : ce n’est pas signe de mauvaise qualité.

Il n’y a pas de tabou à faire baisser le prix lorsqu’on le peut, sous réserve de qualité et de durabilité. Et sur la partie opportunité du soin, les intérêts entre le patient et l’assureur sont là aussi convergents. Je pense que ça exclut les mauvais côtés du business. Avec notre modèle économique, nous serons payés de la même manière quel que soit l’impact que nous aurons sur les prix. Et c’est bien qu’il y ait des contre-pouvoirs.

Quel est l’intérêt pour les professionnels partenaires ?

M.B. C’est variable. Ce qu’ils attendent en principe, c’est un apport de patientèle supplémentaire, et qu’ils puissent être remarqués. Ça peut être aussi de limiter le taux de renoncement. Par exemple, chez les audioprothésistes, beaucoup de patients vont loin dans la démarche, mais ne s’équipent pas au final. On remarque qu’avec nous, ce taux baisse.

Vous leur demandez parfois des efforts sur leurs prix ?

M.B. Oui, il y a toujours dans nos réseaux une grille de tarifs, et ils ne peuvent rentrer que s’ils y consentent. L’effort est variable : on en demande peu pour les ostéos par exemple, parce que leur capacité à baisser les prix est faible. C’est du temps-homme, avec peu d’investissement de plateau technique… À l’inverse, en implanto, on a pu changer le modèle de production, parce qu’il y avait des gains à obtenir. On étudie les leviers d’action en fonction du secteur et on adapte nos négociations économiques. Et on y passe beaucoup de temps, selon les métiers.

Alors tout le monde est bon ? Je pense que ça n’est pas la vraie vie

Les réseaux, ce n’est pas une manière détournée de faire de la publicité ?

M.B. Je pense que cette idée gêne beaucoup les médecins. Aujourd’hui, ce n’est pas la vérité. Ce n’est pas parce que le code de déontologie dit qu’il n’y a pas de concurrence que ça se passe comme ça en réalité. À un moment, le client s’oriente et fait des choix, et ce n’est pas seulement parce que les médecins l'ont orienté. Il veut des informations et on donne des éléments pour qu’il s’oriente. Les médecins reçoivent des appels de la belle-sœur, du cousin, de la voisine… Les gens cherchent de l’information, on n’y coupera pas ! On ne choisit pas son dentiste uniquement parce que c’est le plus proche de chez nous.

Chez le médecin, on ne vous donne pas le prix. Vous le découvrirez dans le cabinet, affiché derrière la porte. Vous serez déjà là et vous ne repartirez pas en courant. On ne vous donnera pas non plus d’élément sur la qualité. Alors tout le monde est bon ? Je pense que ça n’est pas la vraie vie.

Chez Santéclair, on ne conseille pas quelqu’un parce qu’il nous rémunère, ou parce que c’est un copain d’études ou qu’on est dans le même cercle de relations sociales. Nos conseils ne sont pas liés à quelque chose d’affectif, de personnel.

 

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