En 2017, quand le Département des Pyrénées-Atlantiques s’est mis en tête d’inventer une réponse innovante pour dynamiser son tissu médical territorial, les premiers que les élus sont allés rencontrer étaient des médecins. La petite délégation emmenée par les conseillers départementaux Thierry Carrère et Charles Pelanne a frappé à la porte des syndicats, du Conseil de l'Ordre ou encore du doyen de la faculté de médecine de Bordeaux (lire son interview ci-dessous). « Il fallait qu'on se rapproche d’eux pour comprendre leurs enjeux, retrace Thierry Carrère. Nous voyions des jeunes de chez nous partir faire des études de médecine et ne jamais revenir. Rapidement, nous avons compris qu’ils nourrissaient un fort besoin d’équilibre entre vie professionnelle et familiale. C’est donc ce discours que nous sommes allés porter auprès du Conseil départemental et dans nos territoires ».
Mais ils ne se sont pas arrêtés là, car les fondateurs de Présence médicale 64 ont convié dès le départ les représentants de médecins au cœur du collectif et de sa gouvernance. Symbole fort, quand le lancement du dispositif a été voté en février 2019 au Conseil départemental, ce sont des médecins eux-mêmes qui en ont présenté le contenu aux élus assemblés. « Remédicaliser la gouvernance était essentiel dans notre projet », confirme Nadine Hiale, directrice du dispositif. « Résultat, on voit aujourd’hui des jeunes médecins présenter la démarche et assurer la communication d’une politique publique », se réjouit Charles Pelanne.
« Un outil pertinent et non pas imposé par des politiques »
Parmi les médecins mobilisés, le Dr Jean-François Grange est incontournable. Conseiller de l'Ordre des Médecins dans le département et vice-président au niveau régional, ce dernier veille à diffuser l'expertise du CDOM au sein de Présence médicale 64. « Nous apportons au collectif une connaissance précise du terrain et toutes nos relations », explique-t-il. Le dispositif départemental a aussi su tisser des liens précoces et étroits avec la faculté de médecine de l’université de Bordeaux ou le Collège des généralistes enseignants d'Aquitaine (CGEA), dans l’espoir de faciliter la formation de maîtres de stage dans tous les territoires du département.
« La médecine générale est par nature communautaire et au service d'une population », tient à rappeler le Dr Laurent Magot, professeur associé au département de médecine générale de l'université, et lui-même généraliste dans les Pyrénées-Atlantiques. Il représente l'université au sein de Présence médicale 64. Pour lui, participer à « tout dispositif favorisant l'accès aux soins et réduisant les inégalités » relevait de l’évidence et voit le dispositif comme « un outil pertinent, pas un de ces projets imposés par des politiques, comme on en a tant vu par le passé et qui font que nous avons aujourd’hui des MSP (maisons de santé pluridisciplinaires) vides ».
Laurent Magot prépare l'avenir en pistant les jeunes médecins généralistes fraîchement installés dans le 64 et potentiels futurs maîtres de stage. « C'est l'ancrage territorial qui fait la différence, insiste-t-il. Il faut labourer le terrain au plus tôt ». Présence médicale 64 lui facilite le « travail de maillage, la connaissance du terrain ». Et quand une formation s'organise quelque part entre Pays basque et Béarn, l'équipe du dispositif se charge de trouver un lieu, réunit des fonds, s'occupe de la logistique.
Directement impliqué dans la formation, le Dr Lionel Duisit est lui aussi associé au dispositif. Membre du Collège des généralistes enseignants d'Aquitaine (CGEA) et du Collège national des généralistes enseignants (CNGE), il est généraliste dans les Pyrénées-Atlantiques, maître de stage des universités (MSU) depuis près de 20 ans et formateur de MSU. « J'ai fortement défendu l'idée de décentraliser les formations pour drainer au maximum. Tout comme les internes ne vont pas là où ils ne sont jamais allés, les médecins ne sont pas forcément enclins à sortir de chez eux pour se former », explique-t-il. Un frein à ne pas négliger alors que les Pyrénées-Atlantiques, comme d'autres départements, souffrent d'un déficit de maîtres de stage.
Outre l’aide apportée pour identifier des lieux et des personnes à solliciter, le dispositif départemental joue aussi un rôle clé pour améliorer l'accueil des internes, avec un accueil sur mesure. « Ce n’est pas un hasard si j'en vois de plus en plus qui évoquent des projets d'installation dans les Pyrénées-Atlantiques », confie Lionel Duisit.
Les médecins en première ligne dans les comités de pilotage
Les internes et jeunes généralistes ont eux aussi voix au chapitre et pas qu’un peu. Le syndicat AquiReAGJIR (Regroupement Autonome des Généralistes Jeunes Installés et Remplaçants d'Aquitaine), joue aussi un rôle moteur dans Présence médicale 64. Sa déléguée, le Dr Lisa Bourdin, est présente lors des comités de pilotage et régulièrement sollicitée. « Nous organisons des brainstormings en amont avec des internes, maîtres de stage ou remplaçants pour présenter des propositions concrètes lors de ces comités, raconte-t-elle. Et à chaque étape des projets, notre réflexion et nos conseils sont sollicités et pris en compte ».
Côté étudiants, c’est le Syndicat des internes en médecine générale d'Aquitaine (SIMGA) qui est présent. Sa vice-présidente, Roxane Bailleul, loue « la très grande proximité et bienveillance » impulsées par le collectif. Lors des comités de pilotage, le SIMGA présente ses projets et défend ses convictions. « Notre avis pèse et influence des dossiers », constate-t-elle avec satisfaction. Et quand le SIMGA suggère courant 2021 d'organiser un week-end pour accueillir les nouveaux internes dans le département, l'équipe de Présence médicale 64 répond présent et se démène en un temps record pour qu'il voie le jour.
L’implication des médecins dans le collectif Présence médicale 64 fait sans doute aujourd'hui la force et la crédibilité de l’initiative. « En les impliquant dès le départ, nous avons pu créer un projet et une vision plus construite et stabilisée, dans laquelle ils peuvent se projeter loin », affirme Philippe Laperle, directeur adjoint de l’ARS64 et cheville-ouvrière du dispositif. Les premiers résultats tendent d’ailleurs à prouver la pertinence de l’approche. « Nous installons de jeunes médecins généralistes et de nombreux projets se développent, se félicite Thierry Carrère. Aux jeunes généralistes candidats à l’installation, nous avons un discours franc : nous n'avons pas des millions d'euros à mettre sur la table, mais un collectif humain et dynamique à leur service ».
Pr Pierre Dubus : « C'est un joli projet et un tour de force »Doyen de la faculté de médecine à l'université de Bordeaux depuis 2014, le Pr Pierre Dubus a vu naître le dispositif Présence médicale 64, sur lequel il porte un regard optimiste. Pour lui, université et territoires ont tout intérêt à mieux se connaître et travailler en étroite coopération. Interview. What's up Doc : Comment avez-vous accueilli l’arrivée d’une initiative comme Présence médicale 64, venue à votre rencontre dès sa création ? Pierre Dubus : Nous défendons l’idée selon laquelle la désertification médicale est toujours liée à une désertification tout court. Repenser l'attractivité des territoires dans sa globalité est donc indispensable. En rassemblant dans ce petit consortium toutes les bonnes volontés pour porter des projets pertinents et adaptés aux attentes des jeunes médecins, avec des leviers sur le logement, le travail du conjoint, les enfants, Présence médicale 64 m’a tout de suite paru aller dans la bonne direction. C'est un joli projet et un tour de force réussi qui doit inspirer d'autres territoires en France. Comment élus et faculté de médecine peuvent-ils travailler ensemble autour des questions d’attractivité et de démographie médicale, notamment en milieu rural ? P.D. : D'abord en créant du lien, comme a su le faire Présence médicale 64. Avant cette initiative, je n'avais quasiment aucun contact avec des élus et très rares étaient les territoires qui venaient me demander conseil. Un dialogue s'est instauré avec ces élus des Pyrénées-Atlantiques qui sont allés à la rencontre de tous les acteurs concernés, notamment du monde médical. Ils ont su créer une communauté et c'est à ma connaissance le seul département qui y est parvenu. Le dispositif a déjà fait preuve d'efficacité et montre qu'en prenant le taureau par les cornes, on obtient des résultats. En tant que doyen d’une faculté de médecine, quelles sont vos préoccupations sur ces sujets ? P.D. : La qualité de la formation des jeunes médecins et leur insertion professionnelle sont au cœur de nos préoccupations. Il y a aujourd'hui un intérêt évident à développer l'enseignement de la médecine générale dans les départements. L'université a besoin de terrains de stage et d'un vivier de formateurs, tandis que les collectivités ont besoin de jeunes médecins pour répondre aux besoins des populations. Ce partenariat est donc gagnant pour tout le monde. Mais pour créer de nouveaux terrains de stage, il faut convaincre des médecins libéraux d'accueillir des jeunes. Et il n'est pas facile de convaincre une vieille génération de médecins généralistes, plutôt solitaires, d’accepter de prendre un étudiant avec eux et de passer un peu de temps pour le former. Il peut être aussi perturbant d'avoir un regard extérieur posé sur sa pratique. Heureusement, les générations intermédiaires, qui ont pu bénéficier de ce type de stage dans leur propre cursus, sont plus disposées à s'engager dans cette voie. |
Un article écrit avec le soutien et l’éclairage des membres du collectif Présence médicale 64.