Polisse et Spotlight

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Depuis Chaplin, en passant par Truffaut, l’enfant en danger a toujours interpellé les cinéastes. Cette figure étant le vecteur de leur propre sensibilité, ils ont ainsi su toucher un large public. Toutefois on peut s’interroger, tant les films ayant décrit la maltraitance à enfant sont nombreux : pourquoi ce fléau reste-t-il si difficile à évoquer, entouré de tabous ?

Polisse et Spotlight

Depuis Chaplin, en passant par Truffaut, l’enfant en danger a toujours interpellé les cinéastes. Cette figure étant le vecteur de leur propre sensibilité, ils ont ainsi su toucher un large public. Toutefois on peut s’interroger, tant les films ayant décrit la maltraitance à enfant sont nombreux : pourquoi ce fléau reste-t-il si difficile à évoquer, entouré de tabous ? Peut-être que sa charge émotionnelle est forte au point de rendre difficile la réflexion et la mise en perspective… On reconnaît un bon film social quand il fait oeuvre de pédagogie tout en restant passionnant. Deux films relativement récents ont contribué très intelligemment à remettre en lumière cette problématique que nous, médecins, devrions toujours avoir à l’esprit quand nous accueillons un patient en souffrance…

Polisse de Maïwenn

En revoyant cette oeuvre « coup de poing », on reste sidéré par la facilité avec laquelle cette encore toute jeune cinéaste a pris à bras-le-corps un sujet si complexe et si vaste. Mille fois elle prend le risque de virer dans le pathos limite racoleur, mille fois elle contourne brillamment l’obstacle.

En décrivant le quotidien d’une brigade des mineurs parisienne, Maïwenn trouve l’angle idéal pour aborder un thème dont on sait qu’il lui tient particulièrement à coeur. Au travers de ce vrai-faux reportage en immersion, elle réalise un parfait dosage entre la sensibilisation à des thèmes très variés – de la violence intime à celle engendrée par les désordres et injustices du monde – et la déflagration émotionnelle de quelques scènes choc, à présent cultes. Et réussit, mine de rien, à montrer comment cette atteinte faite à l’innocence contamine insidieusement l’énergie et le moral de ceux qui la combattent au quotidien.

La mobilisation simultanée de notre système limbique et de notre cortex rend ce film miraculeusement équilibré. En tant que soignants, il n’y a aucune excuse à ne pas se laisser embarquer par cette « polisse ».

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Spotlight de Tom McCarthy

Contrairement à Maïwenn, Tom McCarthy a délibérément choisi de laisser de côté l’impact émotionnel immédiat comme arme de dénonciation. En retraçant la mise au jour du premier grand scandale sexuel d’une Église catholique gangrenée par la pédophilie, il met à l’honneur les notions de patience, de méticulosité et de persévérance indispensables à la réparation des injustices. Pourtant, en aucun cas il n’invite à les considérer comme normales.

Car si ce scandale de Boston a mis tant de temps à être révélé, c’est avant tout parce que les journalistes du Spotlight avaient affaire à un véritable système que chaque membre d’une communauté – pas uniquement l’Église, mais toutes les institutions de la ville – s’appliquait à verrouiller. À des degrés de responsabilité divers mais avec le même terrible objectif de ne pas ébranler un ciment social de façade.

Le film démonte de façon magistrale la mécanique de la perversion : ou comment, bien plus que par la menace immédiate, l’emprise du prédateur sexuel sur la vie psychique de sa victime est entretenue voire légitimée par la contamination paralysante, au niveau collectif, de l’inenvisageable.

Ce film rend hommage à ceux qui ne baissent jamais les bras et nous invite, à quelque place que nous soyons, à garder nos yeux ouverts et notre parole disponible…

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