What’s up doc : Quel est le bilan de la situation en pédiatrie et en particulier à Necker ?
Mélodie Aubart : La situation en pédiatrie est très tendue, depuis plusieurs mois par manque de personnels, nous avons entre 15 et 20 % des lits fermés en permanence à Necker. C’est aussi le cas dans les autres CHU pédiatriques avec des reports et des annulations de soin dit « non urgent ». Depuis plusieurs semaines, l’épidémie de bronchiolite fait rage, or elle va durer 2 mois et demi en moyenne si on se base sur l’année dernière. Nous n’avons pas les places pour hospitaliser les enfants que ce soit en hospitalisation traditionnelle ou en réanimation pédiatrique. Les conséquences sont des surnombres dans les services ou des transferts hors île de France, en partie à Rouen, à Amiens, et à Reims.
Avez-vous un exemple qui illustre ce problème ?
MA. : Par exemple samedi il y avait potentiellement un enfant à transférer. La seule place de réanimation pédiatrique disponible était à Lille. Finalement l’enfant n’a pas eu le temps d’attendre son transfert. Il a été intubé par le SMUR qui ne souhaitait pas le transporter une fois intubé. Du coup il a poussé un autre dans une réanimation pédiatrique à Necker. C’est un vrai problème car l’épidémie est nationale.
Vous avez écrit une lettre ouverte, à quelle fin ?
MA. : Nous avons rédigé une lettre ouverte en 48 h avec plus de 4 000 signataires, uniquement des soignants en pédiatrie.
Les pédiatres libéraux refusent de gérer des enfants aussi graves, il y a donc des prises de risques pour les enfants en général et des répercussions sur toutes les autres maladies. Comme il y a des difficultés à trouver des places en chirurgie, il y a des complications d’appendicite en péritonite par exemple en région parisienne. C’est incroyable ! Nous sommes obligés d’annuler des soins programmés, reportés de jour en jour pour des traitements ou des explorations urgentes. Nous avons des soins palliatifs que nous devons gérer au téléphone. Nous avons souhaité écrire cette lettre pour dire maintenant ça suffit ! Les enfants c’est l’avenir ! Si nous sommes dans une société qui n’est plus capable de soigner correctement les enfants c’est un signal d’alarme sévère. Il faut un changement fort, structurel en pédiatrie et à l’hôpital. Il faut que les conditions du soin s’améliorent pour arrêter l’hémorragie.
Le gouvernement a proposé un plan d’action, pourquoi ne vous convient-il pas ?
MA. : Dans le plan blanc, ils ont proposé de fermer des lits de chirurgie pour y mettre des bronchiolites. Cela va un peu fluidifier les cas de bronchiolite mais cela va aggraver le problème de la chirurgie. Il y a aussi l’annulation des congés, tout cela ne va pas aider à une meilleure prise en charge, ni pousser les soignants à rester à l’hôpital. Sur le plan global c’est contre-productif. Le ministre a annoncé 150 millions d’euros, c’est 150 millions d’euros qui avait déjà été votés, pour les urgences pédiatriques de quelques services, donc ça ne règle pas le problème ailleurs. Les postes d’infirmiers ne sont pas pourvus. L’annonce des assises de pédiatrie au printemps est la cerise sur le gâteau. Nous avons déjà eu le Ségur, le Conseil de la refondation, la Mission flash, on peut changer de noms, mais tout cela ne donne pas de résultats.
En pédiatrie en l’occurrence il y a eu un rapport de l’IGAS demandé par le gouvernement, mené par l’IGAS et les responsables de la pédiatrie. Il y est inscrit de manière très claire ce qu’il faut faire pour la pédiatrie. C’est aux politiques d’agir.
Les solutions mis en place par l’IGAS, vous paraissent-t-elles justes ?
MA. : Oui elles le sont. Ce rapport a été mené par Brigitte Chabrol, neuropédiatre à Marseille, ancienne présidente de la société de pédiatrie. Ils ont auditionné tous les professionnels afin de trouver des solutions qui font consensus. C’est indispensable de revoir la façon dont est considéré le métier du soin. Nous ne sommes pas un ouvrier à qui l’on demande de faire quatre fois sa tâche, puis huit fois… plus on fait de tâches, plus on les fait mal. Une infirmière s’occupait avant de 6 enfants, puis 8 enfants et enfin 10. Plus elle doit s’occuper d’enfants et moins elle fera bien son travail. Moins elle fait bien son travail et moins elle aura envie de rester. C’est très dur moralement dans un métier du soin de mal faire son travail. Il faut absolument remettre des règles, avec des ratios. Il faut évaluer la lourdeur des charges de travail pour définir selon les types de service les limites, sanctuariser le temps de formation en pédiatrie. Les infirmières en pédiatrie doivent être formées. Il faut aussi faire des efforts au niveau des salaires. Aujourd’hui, même après le Ségur de la santé, dans le classement européen des salaires moyens, les salaires de nos infirmières sont avant derniers. Mais surtout il faut une refonte de la gouvernance et de la place apportée au métier du soins.
Faut-il former plus d’infirmières, ce n’est pas une solution à court terme ?
MA. : Il faut déjà arrêter l’hémorragie, c’est la première chose en médecine. Nous pouvons arrêter de perdre des infirmières de l’hôpital. L’infirmière de chirurgie envoyée en bronchiolite fait un métier qu’elle n’a pas choisi.
Cela ne prend pas de temps de mieux les payer et de les considérer. Les gens qui partent ne le font pas de gaieté de cœur. Si on les met dans de bonnes conditions, ils vont arrêter de partir, c’est certain ! Certains sont partis en libéral mais ne sont pas contre exercer à l’hôpital si leur travail est reconnu. Nous avons des leviers d’action. Ces leviers d’actions les gouvernements et le président de la république se sont refusés à les utiliser.
Comment en est-on arrivé là ?
MA. : Cela fait plus de 30 ans que les politiques de santé sont toutes les mêmes. Ils ont refusé de légiférer, nous avons retiré des infirmières et nous avons mis de plus en plus de patients. Par ailleurs c’est un cercle vicieux. Dans mon service il y a 5 lits sur 25 qui sont fermés depuis plus d’un an. Nous sommes obligés de faire un choix plus restrictif, les patients que nous hospitalisons sont les plus lourds. La charge de travail est donc plus lourde.