
Conclave d'Edward Berger.
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Un film habilement construit, peut-être la meilleure mécanique scénaristique de cette année. Mais aux dépens d'un suspense un peu survendu, directe conséquence d'une forme d'angélisme dans la description de cette volée de prêlats et de leurs travers. Il n'empêche, bouder son plaisir serait un péché, tant Conclave remplit son office.
Il y a bel et bien un ressort médical dans le scénario parfaitement huilé de Conclave. On peut même dire qu'il constitue le coeur et le support de cet édifice, de l'argument proprement dit, qui éclaire et scelle cette histoire. Et comme il s'agit également de l'ultime rebondissement, il nous faut ne pas en écrire plus.
Avant cela, nous aurons passé près de deux heures en huis clos, entre un hôtel à la géométrie et l'architecture de coffre-fort et la Chapelle Sixtine, plongés au sein d'une cour de nonces cabotins, assistée de femmes silencieuses et dociles. On imagine sans peine à quel degré supplémentaire d'étrangeté voire de ridicule un Polanski aurait pu conduire cet écheveau, colorer cette ambiance claquemurée. C'est au fond logique que le cinéaste hante ce récit, puisqu'il est issu du cerveau de Robert Harris, le scénariste de son Ghost Writer et de son J'accuse. Cependant, ce n'est pas le baroque polonais mais la rigueur et la sobriété allemandes qui gouvernent la réalisation d'Edward Berger. Le film est ainsi efficace dans sa construction mais presque sage dans son contenu, puisque le jeu de massacre sur lequel il repose, à la façon d'un roman d'Agatha Christie, s'il est savoureux dans sa dimension divertissante, passe presque sous silence, quand il ne les euphémise pas, certains enjeux essentiels qui traversent l'Eglise actuelle, à l'instar par exemple des scandales pédocriminels.
« Conclave se déroule au gré d'une expansion constante, pour aboutir à une ampleur qui dépasse l'anecdote et l’artifice »
Le film se déroule néanmoins au gré d'une expansion constante, pour aboutir à une ampleur qui dépasse l'anecdote et l’artifice, ce que son dispositif théâtral ne laissait pas forcément supposer. C'est ainsi à des questions profondément spirituelles qu'il accorde peu à peu sa plus grande place, à mesure que le suspense quitte une dimension strictement policière. Une enquête sur la foi, en quelque sorte, un audit de l'état du catholicisme, de la façon dont ce microcosme, tellement refermé sur lui-même et hystérisé par ses tiraillements internes, se laisse néanmoins traverser par les mouvements telluriques du monde qui l'entoure.
C'est, surtout, le portrait d'un homme intègre - excellent Ralph Fiennes - de ceux qu’affectionnait Franck Capra, et qui se retrouve, bien évidemment au-delà du simple hasard, au centre du projet voulu par un seul homme et permis par son habileté, celle-ci consistant à faire passer une machination bienveillante pour une évolution inexorable voire une volonté divine. Peu importe, finalement, que Dieu existe, tant qu'il existera des hommes pour croire et faire croire en sa nécessité. La conclusion pourra ainsi être envisagée dans une perspective dramatique fort solennelle tout autant qu’ironique. Question de point de vue...