"Notre appli vise à désengorger les urgences"

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Il fallait y penser. Créer une appli pour permettre aux patients, voire aux médecins, d’estimer le temps d’attente aux urgences, grâce à un questionnaire médical personnalisé. L’appli « Bobbo » propose également une cartographie des corps médicaux, pour que les patients puissent trouver facilement les professionnels de santé qui sont autour d’eux : médecins de garde, spécialistes, pharmacies… Objectif : désengorger les urgences en orientant les consultations non urgentes vers la médecine de ville (maisons médicales de garde, permanence de soins, SOS Médecins, etc.). La startup a été fondée par deux associés : Sofiane Tazdaït (32 ans) et Adner Neyret (31 ans). Nous avons interrogé ce dernier, un médecin généraliste qui fait en parallèle des visites à domicile pour SOS Médecins.

"Notre appli vise à désengorger les urgences"

What’s up Doc. Quel est le point de départ et le concept du projet ?

Adner Neyret. Cela fait environ deux ans que l’on travaille sur le projet. Tout est parti du jour où j’ai été confronté à une situation assez compliquée dans le cadre de mes visites à domicile avec SOS Médecins. Je réanimais un homme qui était en arrêt cardio-vasculaire. Son épouse m’a dit qu’il avait eu du mal à joindre le 15 et qu’il n’avait même pas pensé à aller aux urgences, car il pensait qu’il allait attendre deux à trois heures. C’est à la suite de cet épisode qu’est né Bobbo. Je me suis dit qu’il y avait un problème de régulation.

En effet, beaucoup de personnes ne devraient pas se rendre aux urgences, mais elles y vont quand même par manque de visibilité sur la permanence de soins. Donc, l’idée de base de l’appli, c’était de faire ressortir sur une carte la permanence de soins pour le patient. On a interrogé les urgentistes qui nous ont dit que l’idée était bonne, à condition que l’on conçoive un visuel pour donner des informations sur le temps d’attente approximatif du patient aux urgences.

WUD. Quelle est la fonctionnalité principale de l’appli Bobbo ?

A.N. Quand le patient veut aller aux urgences, il remplit un questionnaire médical qui fonctionne sur le même principe que le questionnaire de l’IAO (infirmier d’accueil et d’orientation). Il reçoit ensuite le temps d’attente approximatif aux urgences, qui varie en fonction de la pathologie auprès de l’observatoire régional des urgences (ORU) qui délivre toutes les données qui sont en open data au niveau du ministère de la Santé. Le temps d’attente est basé sur l’heure à laquelle la personne veut se rendre aux urgences, mais aussi en fonction de son âge, de son sexe et de sa pathologie.

On pourrait presque dire que c’est du temps réel puisque, toutes les quinze minutes, tous les services d’urgences se relient à l’ORU. Toutes les quinze minutes, les ordinateurs des urgentistes donnent à l’ORU des informations sur le nombre de patients dans la salle d’attente de l’établissement concerné, pour telle ou telle pathologie. Nous exploitons ces données grâce à notre data scientist. Cela nous permet d’avoir une estimation temporelle qui a une certaine profondeur, car nous disposons de données sur les quatre ou cinq dernières années. Des données sur le temps d’attente moyen suivant l’âge ou la pathologie. On sait aussi si le patient est venu avec une ambulance, avec les pompiers, s’il est venu tout seul ou à pied, s’il est passé ou pas par son médecin traitant…

Nous avons la capacité de faire de la prédiction sur le temps d’attente par rapport à la pathologie du patient, de son âge, de l’heure à laquelle il a rempli le questionnaire. Toutes ces informations sont rapportées à des données statistiques, mais également aux données des patients qui se sont déjà rendus aux urgences et qui ont déclaré leur temps d’attente passé.  

WUD. Pouvez-vous nous parler de la deuxième fonctionnalité qui propose une cartographie des corps médicaux ?

A.N. Nous proposons aussi des médecins à la permanence de soins, qu’il s’agisse de SOS Médecins, de maisons médicales de garde ou de permanences de soins rattachées au Conseil de l’Ordre. Le but, c’est de désengorger les urgences et de proposer aux patients de consulter les médecins qui sont disponibles autour d’eux. L’appli propose une carte avec l’ensemble des médecins de garde situés à proximité du patient, qu’il s’agisse de visites à domicile ou de consultations en cabinet. Des applis similaires existent (Docadom, Allodocteur, Medadom…), mais elles sont plus spécialisées dans la visite au domicile des patients.

Or, le problème, c’est qu’il y a une pénurie de médecins, et que ces médecins ont plutôt tendance à vouloir faire en sorte que le patient vienne au cabinet pour gagner en efficacité. Quand on fait des visites à domicile à Paris, on se contente à peine de voir un ou deux patients quand il n’y a pas trop de bouchons. Notre objectif est le suivant : proposer aux patients d’aller directement au cabinet pour que le médecin puisse voir trois ou quatre patients à l’heure. Il s’agira donc d’abord de réorienter vers le médecin de garde tous les soins primaires qui ne nécessitent pas de prise en charge par des urgentistes.

WUD. Pourquoi avoir choisi le nom de « Bobbo » ?

A.N. Au départ, on voulait appeler le dispositif « Allo bobo », mais le nom était déjà pris. La sémantique du mot « Bobbo » peut être coupée en deux. On voulait tout d’abord donner une dimension rassurante via le côté « enfantin » du mot, sans pour autant faire abstraction du côté « sérieux » du dispositif qui est là pour garantir une orientation, mais aussi guider dans le choix du professionnel de santé. L’autre sens est lié à l’idée de « bobologie ». L’idée, c’est de limiter les consultations aux urgences qui pourraient être prises en charge par la médecine de ville.

WUD. L’appli s’adresse essentiellement aux patients ?

A.N. Oui, ce sont surtout les patients qui vont utiliser l’application pour qu’ils puissent trouver une vraie alternative à leur problème de santé. Mais elle pourra aussi être utilisée par les médecins. Pour eux, ce sera assez agréable de voir combien de temps leur patient est susceptible d’attendre aux urgences. En fonction du temps d’attente, ils pourront l’envoyer vers le service d’urgences le moins saturé. Il arrive en effet que le patient nous demande dans quel service on doit l’orienter pour qu’il attende le moins possible.

WUD. Quand l’appli sera-t-elle opérationnelle ?

A.N. L’application est encore en cours de développement, on ne peut pas encore la télécharger. Elle devrait être téléchargeable à la rentrée. Nous avons travaillé un an sur la récolte des données disponibles, afin de proposer un temps d’attente moyen aux patients. Puis, il a fallu mettre tout cela en ordre, les rentrer dans nos bases de données, travailler sur des algorithmes qui vont permettre de faire le matching par rapport à des pathologies, des symptômes, des établissements… Ce travail est désormais accompli, on s’attaque donc à la partie haute de l’iceberg qui est le développement de la partie web et mobile.

WUD. Quels sont vos objectifs à l’avenir et en quoi pourriez-vous apporter des solutions à la crise actuelle des urgences ?

A.N. Notre objectif, c’est que, sur l’ensemble de la bobologie qui se retrouve actuellement aux urgences, soit approximativement la moitié des 21 millions de personnes qui vont chaque année aux urgences, on puisse s’orienter vers une permanence de soins disponible près de chez eux. Notre volonté, c’est de profiter des nouvelles technologies que nous avons à notre disposition pour les mettre au service du bien commun. Plus la communauté d’utilisateurs technophiles sera prête à jouer le jeu avec notre dispositif (1), mieux on pourra organiser la permanence de soins et réduire le nombre de passage aux urgences. C’est gagnant-gagnant. Pour le patient, pour le professionnel de santé et pour l’institution publique.
 
(1) La startup souhaite recueillir des « user-adopters » pour valider la version 1 de l’appli. SI vous désirez en être, il suffit d’aller sur le site, de renseigner votre adrese e-mail et vous ferez partie de notre pool d’user-adopters, afin de tester le dispositif dans les semaines qui viennent.
 
 

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