À Nice, un été sous plan blanc

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Au CHU de Nice, les services d’infectiologie et de réanimation ont été pris d’assaut cet été. Un effervescence épidémique qui a convaincu la région de réactiver le plan blanc. Les Pr Michel Carles, chef du service d’infectiologie, et Jean Dellamonica, qui dirige celui de Réanimation, de l’Hôpital Archet 1 à Nice témoignent. 

À Nice, un été sous plan blanc

Fenêtres grandes ouvertes, la douceur estivale s’invite dans les couloirs du CHU de l’Archet 1 à Nice. En ce début du mois de septembre, ce calme apparent détonne avec l’été que les services de Réanimation et d’Infectiologie viennent de traverser. Comme en Corse et en Nouvelle Aquitaine, la région a décidé de réactiver le plan blanc au moins d’août. « Nous avons vécu ce que nous avions déjà vécu à la troisième vague, c’est-à-dire un décalage au plan national », commente, masque greffé au bout du nez, le Pr Michel Carles, chef du service d’infectiologie. Les traits tirés par la fatigue, le Pr Jean Dellamonica, à la tête de celui de réanimation, précise : « Si le plan blanc n’a jamais été désactivé au CHU de Nice, sa réactivation dans la région a permis de dire à la population : « attention, il se passe des choses dans les hôpitaux qui ne sont pas visibles sur les plages. »

Faire face grâce à une « fusée à deux étages »

C’est à la fin du mois de juillet que la courbe épidémique a commencé à prendre de la hauteur. « L’été s’est déroulé en deux phases. À partir de la fin du mois de juillet, on a commencé à avoir une augmentation des cas », détaille Michel Carles. « Et à partir du mois d’août, tout s’est accéléré », complète son confrère. Un afflux de patients que les deux hommes ont tenté de compenser par la réorganisation des services. « Avec le Pr Carles, on a mis en place une fusée à deux étages. En réanimation, nous n’avons accueilli que les patients les plus graves », indique l’anesthésiste-réanimateur. Et son binôme de préciser : « Nous avons tenté d’épargner le personnel soignant puisqu’en réanimation, c’est une infirmière pour 2,5 patients. En soins intensifs par contre, ce sont deux infirmières pour huit patients ». Un nouveau fonctionnement pensé pour atteindre un objectif clairement identifié. « Utiliser le bon lit pour le bon patient afin de ne pas mettre en difficulté l’ensemble de l’hôpital », explicite Jean Dellamonica.

Dans les services, l’inquiétude ne les a pourtant pas épargnés. L’usure et les congés s’ajoutant à l’équation, le service de réanimation a d’abord peiné à ouvrir les lits déployés lors des précédentes vagues. « Ce n’est pas juste un nombre de lits. C’est également du personnel pour s’en occuper », rappelle d’une voix ferme le réanimateur. En tout, son service est finalement parvenu à ouvrir treize lits réservés aux patients intubés et ventilés. « Ceux qu’on accueille habituellement en réanimation avec de l’oxygène à haut débit sont allés en infectiologie », détaille-t-il. Et Michel Carles de poursuivre : « Sur nos trente lits, nous avons d’abord décidé d’en consacrer vingt au Covid. Et puis, on est monté jusqu’à 24 ». Un surcroît d’activité qui s’est conjugué avec une angoisse. « Dans un premier temps, il y a eu un stress de voir que les adultes hospitalisés étaient plus jeunes que sur les vagues précédentes », se remémore l’infectiologue, qui souligne que les patients plus âgés, non vaccinés et habitant en périphérie, sont arrivés après. « Ils pensaient qu’ils seraient épargnés par les problèmes de la ville », commente le professeur. « Pour nous, ça a été terrible de voir autant de patients arriver avec une pathologie évitable, assure, de son côté, Jean Dellamonica. Certains arrivaient en fanfaronnant que le vaccin ne servait à rien. Deux jours après, ils étaient intubés. »

Tourisme et épidémie, un combo perdant

Un moment de tension qui s’est mêlé aux caractéristiques estivales niçoises. Dès que les beaux jours pointent le bout de leur nez, ils amènent avec eux un nombre important de touristes. « Une grande partie de la France et de l’Europe vient dans la région. C’est mathématique. Les petits bobos et les gros bobos sont multipliés à cette période », résume Jean Dellamonica. Une suractivité qui s’est donc ajoutée à l’urgence épidémique. « Et qui a été aggravée par la présence de patients Covid + », ajoute Michel Carles, qui souligne que le service de médecine interne a notamment perdu en capacité d’accueil. « La médecine interne a consacré huit de ses lits au Covid. Tout cela a retenti sur les Urgences puisque certains patients se sont retrouvés dans des services pas forcément adaptés à leur pathologie », se souvient-il. Dans ce maelström, le CHU de Nice a tout de même réussi à accomplir un exploit. « Même si le plan blanc permet d’annuler les congés de certains professionnels, cela n’a jamais été fait », se félicite Michel Carles. Et Jean Dellamonica d’attester : « L’idée était de laisser les gens en vacances ». Une décision prise pour éviter d’ajouter « colère et démotivation » à l’épuisement du personnel hospitalier. « Le risque social est apparu plus important que le bénéfice potentiel en termes de ressources », explicite l’infectiologue.

Les équipes, à bout de souffle 

Ce défi n’a pourtant été relevé qu’au prix du sacrifice de nombreux jours de repos des personnels en poste. « On a réussi à s’organiser, mais cela uniquement grâce à une charge de travail énorme qui a reposé sur les épaules de chacun. On est arrivé à de très importants quotas d’heures supplémentaires », assure Jean Dellamonica. Une intense mobilisation difficile à tenir sur le long terme. « Est-ce qu’ils sont prêts à attaquer la rentrée sur le même rythme ? Pas vraiment... Pareil sur le plan médical : on est tous impactés parce que ça dure. Parce qu'on est fatigués », assure le professeur, qui a lui-même écourté ses vacances.

Après un été chargé, la rentrée semble pourtant laisser place à une accalmie en ce 3 septembre. « Depuis le milieu de la semaine, on commence à avoir l’impression qu’il y a un peu moins de demande », indique Jean Dellamonica, qui vient d’accueillir ses deux premiers patients non-Covid depuis un mois et demi. « Certains des patients en réanimation peuvent descendre en soins intensifs. Ça nous donne un petit peu plus de latitude que d’essayer de pousser les murs », ajoute-t-il. Si ce dernier « rêve » qu’il vit là son dernier coup de feu, Michel Carles, quant à lui, mettrait presque sa main à couper qu’une nouvelle salve de crises arrive.

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