Les arrêts de travail plombent la Sécu : ​Ah bon, t’es sûr ?

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Dans son rapport annuel sur la Sécurité sociale publié en octobre dernier, la Cour des comptes a, comme à son habitude, suggéré des pistes d’économies. Ses propositions concernant les indemnités journalières étaient particulièrement drastiques. Mais est-ce vraiment en tapant sur les arrêts de travail qu’on comblera le trou de la Sécu ?
 

Les arrêts de travail plombent la Sécu : ​Ah bon, t’es sûr ?

Tailler dans la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) des médecins qui prescrivent trop d’arrêts de travail. Déconventionner (temporairement) ceux qui ne parviennent pas à justifier pourquoi la durée de leurs arrêts s’éloigne des recommandations. Mieux traquer les fraudeurs. Telles sont les préconisations au vitriol émises par la Cour des comptes dans le chapitre de son rapport annuel sur la Sécurité sociale qu’elle a consacré aux indemnités journalières. Mais au fait, pourquoi tant de hargne ?
Si les sages de la rue Cambon ont décidé de sortir l’artillerie lourde sur le sujet, c’est qu’ils estiment que la croissance des dépenses liées aux arrêts maladie risque de compromettre le retour à l’équilibre des comptes de la Sécu, prévu par le Gouvernement pour 2023. Ils calculent en effet que la croissance moyenne des dépenses pour indemniser les arrêts maladie a été de 4,2 % par an entre 2013 et 2017. Un taux supérieur à celui de l’objectif national de dépenses d’Assurance maladie (Ondam) et de la masse salariale, s’étranglent les magistrats de la Cours des comptes !
 

Responsabilité, j’écris ton nom

Pour eux, la solution tient en un mot : « responsabilisation ». Si on veut sauver le soldat Sécu, il faut que prescripteurs, salariés et employeurs se montrent plus raisonnables. Sauf qu’en examinant les chiffres de près, on se rend compte que les efforts sur les arrêts de travail sont bien peu de chose dans l’océan des dépenses de santé. Car avec leurs 7,4 milliards d’euros de dépenses en 2017, l’indemnisation des arrêts maladie (hors maternité et accidents du travail) ne représente que 2,6 % des dépenses de santé.
Mais après tout, il n’y a pas de petites économies : si abus il y a dans le système d’indemnisation des arrêts maladie, pourquoi ne pas les combattre ? Examinons donc en détail la structure des dépenses en question. 45 % des arrêts de travail prescrits en 2017 avaient une durée de moins de huit jours, nous apprend la Cour. En toute logique, c’est donc là qu’il faut taper pour faire des économies.
Sus aux arrêts dits « de complaisance » pour un rhume ou pour un coup de mou passager, donc ! Malheureusement, ces arrêts de courte durée, s’ils font masse, ne représentent que 4,2 % des dépenses. Maigre gisement d’économies. Même si les cost killers s’intéressent aux arrêts ne dépassant pas les 30 jours, leur butin risque d’être maigre : ce type d’arrêt représente certes 75 % du total, mais seulement 18 % des dépenses.
 

La faute aux cancers, aux soignants et aux personnes âgées

Si l’on veut vraiment réduire les dépenses en matière d’arrêt de travail, il faut donc s’attaquer aux vrais coupables : les arrêts de plus de 6 mois, qui ne représentent que 6 % des effectifs, mais 45 % des dépenses. Le problème, c’est qu’on se heurte là à des arrêts d’une toute autre nature : difficile de parler de la complaisance d’un médecin qui prescrit un arrêt de longue durée pour un patient atteint de cancer, de dépression…
Autre obstacle aux rêves de ceux qui veulent faire des économies sur les indemnités journalières : la répartition des jours d’arrêt entre les travailleurs. La Cour des comptes note que le secteur pour lequel les salariés sont le plus souvent arrêtés est, de loin, celui de la santé et de l’action sociale (près de 20 jours d’arrêt par an en moyenne, contre 10 dans la restauration et l’hébergement, par exemple). Dommage quand on sait que le médico-social est un secteur appelé à prendre une part de plus en plus importante dans l’économie au cours des prochaines années.
De même, on note que la durée moyenne des arrêts maladie augmente avec l’âge : elle est de 18 jours pour les moins de 24 ans, de 33 jours pour les 40-44 ans, et de 56 jours pour les plus de 60 ans. Pas de chance dans un pays où l’on est justement en train d’essayer de repousser l’âge moyen de départ à la retraite. On n’a pas fini d’entendre parler du coût exorbitant des arrêts de travail…
 
 

Témoignage : Quand les patients d’une généraliste font plier la Sécu
 
Le Dr Claire Bigorgne, généraliste dans les Côtes-d’Armor, a été convoquée par sa caisse d’Assurance maladie au printemps dernier pour des prescriptions d’arrêt de travail trop généreuses. Mais ses patients se sont révoltés. Elle nous raconte cette mésaventure.
 
What’s up Doc. Comment et pourquoi avez-vous été convoquée par l’Assurance maladie ?
Claire Bigorgne. J’ai reçu un aimable coup de téléphone de la Sécu, me disant que j’étais priée de me présenter à la caisse pour discuter de mes « prescriptions atypiques ». J’y suis allée comme une fleur, car on m’avait dit que pour un premier entretien, cela se passait en toute confraternité. Mais quand je suis arrivée, ce n’était pas du tout confraternel.
 
WUD. Qu’est-ce qui vous était reproché ?
CB. D’avoir prescrit trop d’arrêts de travail, notamment de plus de trois mois, et trop d’accidents du travail. J’ai essayé de me défendre, mais en face de moi j’avais deux personnes qui avaient décidé que mes arguments n’étaient pas recevables. On m’a sorti 5 dossiers, sans m’avoir prévenue qu’ils allaient être débattus. Et à la fin, on m’a dit que j’allais être mise sous objectif (procédure qui oblige le médecin à réduire ses prescriptions sous peine de sanctions financières, NDLR) et que j’allais recevoir un courrier.
 
WUD. Quelle a été votre réaction ?
CB. Le lendemain, j’ai mis devant mon cabinet une affiche indiquant qu’il était fermé jusqu’à nouvel ordre à la suite d’une convocation par la caisse. Mais mes patients sont montés au créneau. Ils ont alerté les journaux, créé un comité de soutien… Si bien qu’un peu plus tard, la caisse expliquait dans la presse que je n’étais pas mise sous objectif. Bien sûr, ils n’ont pas pris la peine de me contacter. Mais je n’ai jamais reçu leur fameux courrier.
 

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