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C’est un paradoxe : une dystopie est d’autant plus dérangeante que le monde qu’elle décrit est proche du nôtre. Or celle qui sert de cadre au Syndrome de l’Iceberg, roman graphique de Paul Rey sorti l’année dernière, n’est qu’un prolongement de la société que nous connaissons déjà. La différence, c’est que nous sommes en 2055, et que les objets connectés prennent tout simplement plus de place qu’aujourd’hui…
Voilà qui n’est pas sans poser quelques problèmes d’ordre psychiatrique, certaines personnes préférant la compagnie des intelligences artificielles nichées dans leur téléphone, leur tasse de café ou même leur agrafeuse à celle des humains. Ce sont des « icebergs » : leurs contacts avec leurs semblables sont gelés, et l’essentiel de leur vie intérieure se déroule sous la surface, dans des conversations avec des algorithmes plus ou moins perfectionnés.
Or justement, le personnage principal, Ezra, a un frère nommé Yan qui fait partie de ces icebergs, et qui a disparu… L’histoire nous raconte les aventures d’Ezra pour retrouver ce frangin à la dérive, aventures qui vont l’amener (notamment, et dans le désordre) à découvrir le Japon, à renouer avec son père et sa Marseille natale, à tomber amoureux, et à changer de job.
Développeur pour un éditeur de jeux vidéo dans la Silicon Valley, il va se faire embaucher par une mystérieuse « agence humaniste » marseillaise, et sera chargé de mettre au point un algorithme permettant de diagnostiquer le syndrome de l’iceberg.

BD et santé publique
Cette reconversion amène l’ouvrage à poser d’authentiques questions de santé publique. Quand un comportement considéré comme problématique devient une norme sociale, quelle est la place du soin ? En d’autres termes, qu’est-ce qui distingue le normal du pathologique ?
« Dans ton Agence humaniste, vous appelez ça une pathologie, reproche Yan à Ezra quand il finissent par se retrouver (car oui, spoiler alert, les retrouvailles familiales ont lieu). C’est un jugement hâtif. Moi, je suis sûr de mes sentiments. Ce que j’éprouve quand je discute avec une voix, je ne l’ai jamais ressenti avec qui que ce soit. Ça me fait du bien. De quel droit tu juges ça contre-nature ? »
On l’aura compris, Le syndrome de l’iceberg est plus qu’une dystopie sur la place du numérique dans nos vies, c’est aussi une réflexion sur ce que nous appelons « maladie ». La figure du médecin, incarnée par le Dr Dazi, un psychiatre mi-héros de la santé publique, mi-startuper, y est d’une savoureuse ambiguïté.
Et pour ne rien gâcher, le tout est servi par un dessin ultra-référencé qui, Provence oblige, tire tantôt du côté de Cézanne, tantôt du côté de Van Gogh, et qui, dans les pages japonaises, paie son tribut à Miyazaki. Un plaisir pour les yeux autant que pour l’esprit !
Le Syndrome de l’iceberg, de Paul Rey, Sarbacane, 2023
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