Le film raconte, par un fil tendu entre deux femmes, le lent et destructeur passage, à un niveau collectif, de l'impuissance conditionnée à l'efficience de la révolte. A la fois édifiant, terrifiant et émouvant.
La réalisatrice July Jung a choisi la sobriété et la modestie pour retranscrire le fait divers qui a bouleversé et fait réagir son pays face à la situation aussi ubuesque que destructrice qui consistait à sacrifier sur l'autel du travail et de la rentabilité les éléments à la fois les plus vulnérables et les plus prometteurs de sa population : sa jeunesse. Combien, pour permettre la survivance d'objectifs totalement déconnectés de leur but initial, l'on est prêt à "payer", en termes humains. Ce simulacre d'obsessionalité - puisqu'amorale - est matérialisé par l'envahissement permanent de l'écran par des listes austères où tout n'est que classement, compétition, où les chiffres sont plus importants que les noms. Il fallait bien, justement, passer par l'individualité, l'unicité, la force d'un patronyme pour saisir la dimension collective, l'ampleur de ce cannibalisme systémique. Cette aridité de la narration, à des années-lumière de l'esbroufe caractéristique d'un certain cinéma coréen, est à prendre en ce sens , celui de la remise en cause et de la limite de la provocation et du second degré en tant que moyen de contestation. En ce sens, le film est fort et important.
Une autre réussite est d'avoir opté pour une construction en miroir, avec dans un premier temps la retranscription apparemment fidèle des événements ayant conduit au drame - puisqu'il s'agit de cela - pour ensuite les décortiquer sous un autre angle, celui de l'enquête menée par une policière obstinée, et interprétée par la formidable Doona Bae. Sous une apparence de redite, cette seconde partie permet de dévoiler de façon saisissante tout ce qui était à la fois hors champ et sous les yeux de tous - pathognomonie du fonctionnement pervers. De par la rencontre qu'elle s'impose avec chaque témoin indirect de ce qui s'est joué pour Kim Sohee et sa génération, c'est à la fois à l'identification d'une femme et d'une faille que s'attelle l'inspectrice. En cela, About Kim Sohee n'est pas sans rappeler un autre film d'autopsie psychologique, une Nuit du 12 récemment auréolée du César du meilleur film. La superbe - toute masculine? - de la mise en scène en moins. Ce qui le rendrait presque plus fort.