Le grand âge est une maladie comme les autres. Ah bon, t’es sûr ?

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Face au grand âge, la médecine est prise entre deux feux : on lui demande à la fois de fournir des soins de plus en plus performants et de s’effacer pour laisser les patients (pardon, les personnes) vieillir en toute autonomie. De quoi perdre son latin.

Le grand âge est une maladie comme les autres. Ah bon, t’es sûr ?

Au mois de septembre, ce qui devait être l’une des réformes majeures du quinquennat s’est en effet subitement desséché comme une feuille de platane ; le gouvernement ne convainquant pas grand monde, ramait pour présenter les quelques mesures qu’il avait introduites dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 en lieu et place du texte avorté comme un jalon majeur de la prise en charge du vieillissement. Il serait faux de prétendre que les médecins ont été surpris par cette nouvelle preuve de l’incapacité du politique à s’attaquer au sujet du grand âge.

Mais l’immobilisme des pouvoirs publics est pour eux d’autant plus catastrophique que la profession se trouve actuellement mise au défi de se réinventer face à des injonctions paradoxales. « La médecine est comme prise au piège, estime ainsi le Dr Nicolas Foureur, directeur du Centre d’éthique clinique à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris

(AP-HP). En inventant la gériatrie, elle a été la seule à s’être véritablement occupée des vieux, et leur permettre de vivre plus longtemps et mieux. Mais elle l’a fait avec ses outils, qui ne sont que des outils médicaux, et qui impliquent souvent une institutionnalisation plus ou moins consentie. Or si vous allez à la rencontre des vieux, ce n’est pas ce qu’ils attendent. »

On souhaiterait que face au grand âge, la médecine sache être efficace tout en étant le moins visible possible 

En d’autres termes, on souhaiterait que face au grand âge, plus encore que face à toute autre problématique de santé, la médecine sache être efficace tout en étant le moins visible possible. Rien n’illustre mieux la tenaille qui enserre la gériatrie que le discours prononcé par Jean Castex en septembre dernier sur le thème des EHPAD. « Ce qu'il faut, c'est médicaliser davantage, renforcer la présence des médecins et des infirmiers dans ces établissements », avait déclaré le Premier ministre lors d’un déplacement à Autun (Saône-et-Loire)… Voilà  qui aurait été limpide si, quelques minutes auparavant, le Premier ministre n’avait pas qualifié la politique d’autonomie, qui est celle qui tient le médecin aussi éloigné de la personne âgée que possible, de « priorité des priorités ».

Bien sûr, il y a une réponse à ce délicat problème de positionnement, et elle tient à la traditionnelle opposition entre préventif et curatif. « Notre métier associe le côté médical pur, avec l’accumulation de pathologies, le déclin cognitif, la polymédication, etc., et le travail pour préserver l’autonomie et l’indépendance fonctionnelle », estime ainsi le Dr Fanny Durig, vice-présidente de l’Association des jeunes gériatres (AJG). Mais celle-ci reconnait aisément que pour assumer correctement ce double rôle, la médecine a besoin de moyens dont elle ne dispose pas pour l’instant, que ce soit en institution (« 30 % des EHPAD n’ont pas de médecin coordonnateur », relève-t-elle) aussi bien qu’au domicile (« quand on prescrit de la kiné et que le kiné est trop débordé pour se déplacer chez la personne, comment fait-on ? », demande-t-elle).

"On en est à je ne sais combien de rapports sur le grand âge, et la situation ne s'améliore pas"

Voilà qui pose à nouveau la question politique. « On en est à je ne sais combien de rapports sur le grand âge, et ce qu’on voit, c’est que la situation ne s’améliore pas », regrette la jeune gériatre. « Il faut que les citoyens pèsent pour qu’une loi soit enfin mise en place », estime de son côté Nicolas Foureur, qui juge que la présidentielle est une opportunité à saisir. Car si le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, estimait en décembre 2020 que « la réforme des retraites ferait une excellente première réforme de deuxième quinquennat », les professionnels du vieillissement sont nombreux, de leur côté, à estimer que celle du grand âge devrait suivre immédiatement… voire passer en priorité.

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