« Le défaut d’accès au soin pour les femmes migrantes est aussi une forme de violence »

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Initialement créée pour intervenir dans les pays en développement, l’ONG Gynécologie sans frontières déploie depuis douze ans son action en faveur du droit des femmes dans l’Hexagone. Entretien avec son vice-président, le Dr Richard Matis, gynéco-obstétricien.
 

« Le défaut d’accès au soin pour les femmes migrantes est aussi une forme de violence »

What’s up Doc. Qu’est-ce qui distingue Gynécologie sans frontières des autres ONG ?
 
Richard Matis. D’abord nous sommes essentiellement axés sur la santé des femmes et la lutte contre les violences qu’elles subissent. Nous avons commencé par intervenir en apportant notre expertise au sein des ONG généralistes. Ensuite nous ne nous substituons jamais à ce qui existe : nous n’amenons pas de structure et de professionnels pour réaliser les soins, mais une compétence que nous cherchons à transmettre. Notre philosophie réside dans cette phrase, attribuée à Nelson Mandela : « Ce qui se fait pour moi, sans moi, se fait contre moi ».
 
Autre spécificité, nous sommes exclusivement bénévoles, à part deux salariés au siège pour l’administratif, et depuis peu une coordinatrice de mission pour notre projet migrants. Les professionnels qui s’engagent dans nos missions (de quinze jours à un mois maximum) sont en activité ou jeunes retraités. Ils prennent sur leurs congés ou sont entre deux postes. Environ 80 % sont des sages-femmes, viennent ensuite les gynéco-obstétriciens, puis éventuellement des généralistes, des infirmières…
 
WUD. GSF est-elle toujours intervenue en France ?
 
RM. Non. Quand l’ONG a été créée, en 1995, c’était plutôt pour intervenir à l’international. Puis nous avons créé un colloque, en 2006, à l’occasion de la journée internationale de la santé humanitaire, centré sur l’excision, et c’est à partir de là que nous avons commencé à développer une action en France, destinée à sensibiliser les professionnels à la prise en charge des femmes victimes de mutilations.
 
Puis, depuis 2015, nous avons développé une mission d’urgence en France à l’intention des migrantes qui transitent par les camps du Nord. Puisque nous intervenions dans des camps de réfugiés à Zaatari (Jordanie), pourquoi ne pas le faire également en France, où désormais la problématique du défaut d’accès aux soins, qui est aussi une forme de violence, se pose ? Les femmes représentent 10 à 15 % de la population des camps, et elles subissent énormément de violences. Bien sûr, ici, nous faisons très peu d’actes. Nous créons l’interface avec les professionnels et les établissements de santé des environs.
 
WUD. Quels sont les développements à venir de votre action ?

RM. Cette mission intitulée Caminord se transforme en Camifrance. Nous intervenons déjà au centre d’accueil de migrants d’Ivry-sur-Seine, où nous proposons de créer le lien avec le système de soins pour les suivis de grossesse et les consultations, et nous organisons des séances de prévention/information sur la contraception, la santé sexuelle, les relations hommes-femmes. Le but est de développer ce mode d’intervention sur d’autres sites dans le pays, lorsque des besoins sont relevés par des membres de notre réseau (300 professionnels ont déjà travaillé sur les missions Caminord, et ils étaient originaires de toute la France).
 
Car même si les camps du nord ont été démantelés, les problèmes persistent ; les populations sont juste davantage disséminées. Nous avons également créé un refuge où des femmes migrantes victimes de violences peuvent être hébergées quelques jours. C’est un modèle qui pourra être répliqué. Et, bien sûr, nous continuons d’intervenir à l’étranger, notamment via des missions de formation aux soins obstétricaux et néonatalogiques d’urgence, à la chirurgie vaginale et par le compagnonnage gynéco-obstétrical. Nous avons des missions régulières en Haïti, au Togo, en République démocratique du Congo, au Mali et en Côte d’Ivoire.

Propos recueillis par Sandra Mignot

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