Intelligence artificielle en santé : où en sommes-nous ?

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L’IA en santé est reconnue utile, voire nécessaire. Désormais utilisée comme outil de diagnostic et de suivi à part entière, elle doit le rester, en étant régulée et encadrée. Explications avec David Gruson, membre du comité de direction de la chaire Santé de Sciences Po Paris, docteur en droit de la santé et fondateur de l’initiative académique et citoyenne Ethik-IA.

Intelligence artificielle en santé : où en sommes-nous ?

Plus loin, plus vite : l’intelligence artificielle se développe en santé, avec une accélération plus prononcée ces dernières années. Pour commencer, l’utilisation d’un algorithme pour interpréter des images médicales s’est démocratisée en radiologie, ophtalmologie, dermatologie, mais aussi en oncologie.

Autre usage : l’IA « de pilotage » permettant de réunir les données propres à une population, afin de l’accompagner dans son parcours de soins. Si cette méthode est déjà utilisée par les médecins d’Europe du Nord et nord-américains, la France reste en retrait. « Mais cela va vite évoluer : les programmes de certains candidats républicains à la présidentielle le mentionnent déjà », constate David Gruson, convaincu qu’il faut aller plus loin dans ce domaine.

Des utilisations encadrées par la récente révision de la loi de bioéthique. Il n’y a donc plus qu’à… 

« Le plus grand risque éthique serait de se fermer à l’IA en santé, étant donné tout ce qu’elle apporte ; ce serait une source de perte de chances. D’autant plus que la crise sanitaire a montré que les citoyens étaient de moins en moins réticents à faire appel à de telles solutions, si elles peuvent régler des problèmes de santé immédiats. »

IA en santé : des risques à réguler

La portée d’une intelligence artificielle est fascinante : scientifiques et concepteurs d’algorithmes s’accordent sur ce point. D’où la nécessité, en tant que médecin, de ne pas lui déléguer son expertise : c’est le risque majeur auquel David Gruson souhaite sensibiliser. « Face à une IA proposant un diagnostic, le médecin doit continuer à se poser des questions, vérifier l’origine et la solidité de l’analyse ». De même côté patient : si les suggestions de l’IA sont à prendre en compte, elles ne doivent pas pour autant être suivies aveuglément.

Autre risque ? Perdre de vue la personnalisation du parcours de soins : « L’IA reste un programme mathématique et informatique qui agit en fonction de la loi du plus grand nombre. L’intérêt d’un groupe ne doit donc pas empiéter sur celui d’un individu. »

Face à ces risques, plusieurs moyens de régulation se distinguent. Tous répondent au principe de garantie humaine : « Autrement dit, garantir que l’IA reste un instrument visant à améliorer la prise en charge médicale, mais ne se substitue pas aux médecins, ni à leurs patients », résume le fondateur d’Ethik-IA. 

Les moyens, en pratique ? Informer chaque patient qu’une telle solution sera utilisée dans son protocole de soins. « Le patient n’aura pas de consentement à donner, puisqu’il aura déjà donné son accord pour entrer dans le protocole en amont. Il s’agit seulement de l’informer, de manière à ce qu’il comprenne que l’IA est un outil parmi les autres au sein du traitement. » Enfin, lors des phases de conception et d’application d’un algorithme, ce dernier doit être supervisé par les professionnels de santé concernés, les concepteurs de la solution et un panel de patients. Une condition prévue dans l’article 17 de la loi de bioéthique. C’est ce qu’a fait l’Union Française pour la Santé Bucco-dentaire pour la solution Dental Monitoring : un système de reconnaissance vidéo prévenant l’apparition de caries chez les résidents en EHPAD. Tous les 4 mois, des chirurgiens-dentistes vérifient certains dossiers patients et y apportent des corrections, si nécessaire. « 11 dispositifs de ce type, dont celui-ci, sont déjà instaurés en France. L’objectif est de poursuivre leur diffusion », poursuit David Gruson qui prône mutualisation et partage des expertises médicales, afin de développer l’IA en santé. 

IA et santé : quid de demain ?

Si la croissance de l’innovation technologique ne fait aucun doute, le principal défi sera de faciliter son accès au plus grand nombre. Pour cela, Sécurité sociale, mutuelles et compagnies d’assurance devront jouer le jeu. « L’idéal serait que, dès les premiers mois du nouveau quinquennat, une concertation soit organisée avec ces acteurs, afin de trouver des solutions innovantes, notamment en termes de remboursement », espère David Gruson, qui alerte sur les risques de creuser les inégalités d’accès aux soins, si ces acteurs ne suivaient pas.

Une initiative d’autant plus nécessaire que, selon lui, les années à venir verront l’émergence d’une plateforme réunissant des algorithmes de santé, afin de proposer un parcours de soins à la demande, sur le même principe que Netflix. « Si j’ai besoin de réponses à une image médicale, il me suffirait de l’envoyer dans l’application et j’obtiendrais mon diagnostic en quelques minutes », imagine le docteur en droit de la santé qui croit d’autant plus en la réalisation d’une telle idée au vu du positionnement des géants du numérique sur ces sujets. « Il est donc essentiel d’avancer une proposition solidaire d’accès à l’IA pour tous, supervisée par les professionnels de santé », conclut-il.

Demain, l’IA sera donc sociale ou ne sera pas pour tout le monde…

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