Ils racontent le burn-out sans filtre : « Je n'avais plus la force de soigner »

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Burn-out. Derrière ce mot un peu fourre-tout se cache une expérience douloureuse à la frontière de l'intime et du professionnel. Pour mieux comprendre comment l'hôpital finit par user certains jusqu'à la corde, nous avons demandé à de jeunes médecins de nous raconter l'épuisement professionnel. Témoignages.

Ils racontent le burn-out sans filtre : « Je n'avais plus la force de soigner »

Julie*, cheffe de clinique : « J'ai fini par oublier qui j'étais »

« L'épuisement professionnel est lent, fourbe. C'est un peu comme une femme battue qui y retourne quand même », ose Julie, gériatre de 38 ans. Il y a dix ans, cette dernière était interne dans un CHU de l'ouest de la France quand elle traverse son premier « épisode dépressif ». La « boule au ventre », l'anxiété, l'usure... « Je me sentais malmenée, par mes chefs et la surcharge de travail, raconte-t-elle. Je donnais tout, car des postes étaient en jeu. Si tu veux avoir ton clinicat, tu te tais, tu obéis. Mais tu finis par te sentir rabaissée comme une enfant ».
 
Journées interminables, repos de garde qu'elle ne prend pas pour s'éviter les remarques, tâches administratives pénibles... Elle tombe de haut. « Étudiante, une fois passé le concours de la première année, tu te sens comme une winner. Derrière, comment peut-on céder à ses fragilités ? A la longue, j'ai fini par oublier qui j'étais ». Des anti-dépresseurs lui permettent de tenir le coup. Devenue cheffe de clinique en gériatrie, elle connaît un rebond : « Je crois que j'ai pris à mon tour la grosse tête et reproduit l'attitude de tyran qui m'avait fait tant souffrir », confie-t-elle. Mais ça ne dure pas. La bulle éclate à nouveau, Julie broie du noir : « Je n'aimais pas qui j'étais devenue ni ce que je vivais. Je n'avais plus de vie personnelle ». La « corde pète » pour de bon quand elle passe PH : « Je me réveillais parfois en pleurant, j'avais peur de tout, il n'y avait rien d'autre dans ma vie que le boulot et l'impression que mon monde s'écroulait. En burn-out, tout perd son sens, tu remets en cause jusqu'à tes compétences de médecin. Je n'avais plus la force de soigner, j'avais peur de me tromper ».
 
C'est à l'occasion de longues vacances à l'autre bout du monde que Julie prend une décision fracassante et rare : démissionner. « C'est la meilleure chose qui me soit arrivée », dit-elle avec le recul. Après un an sans activité, un an pour se retrouver et réfléchir à son avenir, elle change de ville, puis finit par trouver son équilibre et des environnements plus sains. Elle se dit désormais « SBF », pour « sans bureau fixe ». Aujourd'hui, Julie sait que la parole peut sauver face à « un sujet qui reste tabou ». Apaisée, elle a appris à connaître ses limites et sait aussi ce qui l'anime. « J'adore soigner. Je n'oublie pas que c'était le contact avec les patients qui m'aidait le plus à tenir quand j'étais au plus mal ».

Ulrich*, interne : « Mon corps a parlé »

Ulrich est en fin d'internat. S'il a aujourd'hui retrouvé toute son énergie et son envie, il sort d'une situation éprouvante qui l'aura poussé au bout de ses retranchements. En débarquant il y a quelques mois dans un département d'Outre-mer, c'est la claque : il n'est pas le bienvenu, personne ne l'attendait. Pourtant, il s'était battu pendant des mois pour effectuer là-bas un inter-CHU. « J'ai gvécu six mois de pure désillusion. J'ai été littéralement rejeté », raconte-t-il, aujourd'hui de retour en métropole.
 
« J'avais traversé la moitié du globe, motivé comme jamais, et quand j'arrive, le responsable de l'unité m'explique qu'il n'est pas au courant de ma venue. Au bout de quelques semaines, les relations se sont délitées et ce même chef finit par me dire que je peux pas intégrer son unité et que je dois me contenter de rester aux urgences. Ils ne voulaient pas me former pour rien, puisque j'allais repartir six mois plus tard... »
 
Ulrich essaye d'en discuter avec d'autres membres de l'équipe, mais rien n'y fait. « Je n'étais plus intégré, on ne m'autorisait plus à faire les gestes alors que j'étais l'interne le plus expérimenté, on me mettait tous les bâtons dans les roues, c'était dingue », se souvient-il. Au bout de quelques semaines, il sent qu'il craque. « C'était trop lourd à supporter et mon corps a parlé », dit-il. Insomnies, poussées d'urticaire, anxiété... Dans un premier temps, Ulrich minimise. Auprès de la psychologue de l'hôpital, il trouvera toutefois une oreille salutaire : « Elle m'a permis de supporter cette période, trouver du positif malgré tout dans mon quotidien et aller jusqu'au bout de mon stage ».
 
Ulrich ne veut pas généraliser, mais il sait qu'il fait partie « d'une génération qui n'a plus envie de s'épuiser au travail » et ne peut que constater les dégâts autour de lui. Un de ses amis internes s'est suicidé l'année dernière. « L'hôpital est un milieu assez violent, mais je sais aussi que nous faisons un travail très gratifiant, sans lien avec l'argent, où, quand on vous dit merci, c'est sincère et ça vous porte ». Quand le burn-out menace, Ulrich préconise lui aussi la parole : « Ne vous isolez pas, parlez à vos collègues, vos amis ou un psy. Réagissez sans tarder ! »

Delphine*, cheffe de clinique : « On finit par devenir cynique, pour maintenir la distance »

Pour Delphine, tout a basculé quand elle devenue cheffe de clinique en neurologie, il y a quelques années. « J'arrivais dans une unité neuro-vasculaire, avec davantage de lits à gérer, moins d'internes, trois bips d'urgence dans les poches, des malades dont l'état pouvait s'aggraver à chaque instant, et il n'y avait soudain plus personne ou presque pour m'aiguiller ». Sans parler des journées à rallonge. « Ça n'arrêtait jamais, j'avais toujours du retard à mes consultations, se souvient-elle. Je passais certaines journées sans manger, sans même pouvoir aller aux toilettes et, le soir, il fallait encore aller voir les familles ».
 
Elle tient bon, encaisse et gère l'urgence jusqu'au moment où un fil rompt en elle. « A un moment, je n'arrivais plus à annoncer les décès ou les risques de décès aux proches des patients... Je me suis même mis à les détester, moi qui ai pourtant toujours adoré le contact humain. Un jour, n'en pouvant plus, j'ai arraché les piles de mes trois téléphones d'urgence pour souffler un moment... » Delphine raconte enfin « les locaux mal entretenus, le manque de lits, l'inflation des tâches administratives » ou encoreb ces journées où elle doit pousser elle-même les brancards d'un service à l'autre. « On finit par devenir cynique, pour maintenir la distance », reconnaît-elle.
 
Au bout d'un an de clinicat, Delphine est à bout, « crevée, à manger n'importe quoi et dépenser beaucoup d'argent après les gardes pour compenser ». Le pire, c'est « cette impression persistante de me tromper tout le temps. Je refaisais les visites dans ma tête. Il m'est même arrivé d'appeler les infirmières en pleine nuit, pensant que j'avais oublié d'administrer les anticoagulants ». La voyant se consumer, pleurer en rentrant à la maison et insomniaque, son compagnon lui suggère de démissionner. Elle refuse. « Pour la réputation, c'était inenvisageable ».
 
« Le besoin d'être un sauveur est très fréquent chez nous, mais à un moment, ça peut se retourner contre nous, analyse-t-elle aujourd'hui avec honnêteté, alors qu'elle a retrouvé une place plus paisible et un équilibre de vie. Tu comprends que tu n'es pas là pour sauver les gens, mais juste faire ton métier ». Le courage, Delphine le trouvait « au service des patients » et dans le soin ; le réconfort, auprès de sa famille, ses amis, mais aussi « des infirmières et aides-soignantes. L'équipe, c'est essentiel, c'est aussi ça qui permet de tenir, confie-t-elle. L'hôpital est aussi rempli de gens dévoués et il y existe encore une entraide véritable ».
 
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des témoins.

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