Il n’y a pas d’exercice médical possible sans liberté d’installation

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Pour lutter contre les déserts médicaux, certains candidats à la présidentielle ont de nouveau proposé de mettre fin à la liberté d’installation des médecins. Une idée qui suscite un rejet unanime dans la profession. Mais en France comme à l’étranger, bien des professionnels de santé n’ont pas vraiment le choix de leur lieu d’exercice.

Il n’y a pas d’exercice médical possible sans liberté d’installation

C’est un totem. Peut-être le seul cri de ralliement capable de mettre tous les médecins d’accord (enfin, au moins les libéraux). Dès qu’un député ou un expert évoque la possibilité de contraindre les praticiens à exercer dans un désert médical, ils entonnent en chœur ce refrain fédérateur : « Liberté d’installation! ». Parfois sans mesurer ce que cette situation a d’exceptionnel. « La liberté de circulation, la liberté de concevoir un projet professionnel individuel, cela fait partie des fondamentaux de la République », explique le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom).

Mais Patrick Bouet ne s’arrête pas aux grandes envolées lyriques : selon lui, la liberté d’installation doit être défendue parce qu’elle est un instrument au service de la solidarité. C’est en ce sens qu’il s’oppose au conventionnement sélectif, par lequel on n’autoriserait pas l’Assurance maladie à conventionner de nouveaux médecins dans des zones dites surdotées. Ce mécanisme, notamment défendu par Benoît Hamon dans la campagne présidentielle, pousserait les médecins à passer des accords directement avec les assureurs privés. « Sur le plan de l’équité, cela pose des questions fondamentales », affirme le président de l’ordre.

Encore une exception française ?

Alors, ferait-on de la mauvaise médecine si l’on n’avait pas le choix de son lieu d’exercice? Pas forcément. Un bref regard à l’international montre que la liberté d’installation est loin d’être un principe universel, y compris dans des pays où les systèmes de santé obtiennent des résultats comparables aux nôtres. Au Royaume-Uni, par exemple, l’écrasante majorité des médecins sont fonctionnaires, et ne peuvent travailler que là où le tout-puissant National Health Service ouvre des postes. Quand on le lui fait remarquer, Patrick Bouet rétorque qu’il « faut comparer ce qui est comparable », et préfère regarder du côté des systèmes bismarckiens, où le financement des soins vient principalement des assureurs.

Le problème, c’est qu’au pays de Bismarck non plus, les médecins ne sont pas libres de s’installer où ils veulent. Les Allemands ont en effet mis en place en 1992 un dispositif qui ressemble furieusement au conventionnement sélectif. Pour chaque spécialité et pour chaque territoire, médecins et caisses d’assurance se mettent d’accord sur des quotas (en nombre de médecins par habitant) au-delà desquels l’installation n’est plus possible. Et l’Allemagne est loin d’être le seul pays bismarckien où un médecin ne peut pas s’installer où bon lui semble. La Suisse et le Québec, pour ne citer que deux exemples, offrent à des territoires suffisamment médicalisés la possibilité de limiter le conventionnement de nouveaux praticiens.

Il y a les médecins, et il y a les autres

Mais en France aussi, de nombreux professionnels voient leur liberté d’installation entravée. Depuis 2007, c’est notamment le cas des infirmiers libéraux (voir interview ci-contre). Ce qui n’est pas sans susciter une certaine jalousie. « Si j’étais une jeune femme médecin avec des enfants, moi non plus je n’aurais pas envie d’aller m’installer dans un endroit où il n’y a pas d’école, pas de cinéma, pas d’infrastructure sportive », sourit Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil).

Quand on lui demande si les restrictions qui touchent les infirmières libérales s’étendront un jour aux médecins, Patrick Bouet se montre confiant. « Qu’on nous apporte la preuve que grâce à cette contrainte, il y a maintenant plus d’infirmières dans les zones sous-dotées! », s’exclame-t-il. « Pour l’instant, l’Assurance maladie ne l’a pas encore fait. » À en croire Catherine Kirnidis, le président du Cnom a raison de croire que les médecins ne doivent pas (encore) faire le deuil de leur liberté d’installation. « Si on devait compter le nombre de sujets sur lesquels les médecins ont gagné et pas nous, on ne s’en sortirait pas », soupire-t-elle. Reste à savoir combien de temps cette situation privilégiée peut encore durer

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