Groupement hospitalier mutualiste de Grenoble : les conséquences sanitaires d’une vente au privé lucratif

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Placé sous statut d'ESPIC (Établissement de santé privé d’intérêt collectif), le Groupement hospitalier mutualiste (GHM) pourrait être racheté par le privé lucratif, comme le refusent l’intersyndicale et un collectif des usagers de la clinique. Notamment parce que cela pourrait avoir des conséquences dramatiques sur l’offre de soins et la qualité de la prise en charge de patients.

Groupement hospitalier mutualiste de Grenoble : les conséquences sanitaires d’une vente au privé lucratif

« Notre clinique n'est pas une marchandise. » Telle était le slogan de l’intersyndicale et du collectif des usagers du Groupement Hospitalier Mutualiste (GHM) qui se sont rassemblées ce jeudi 30 janvier devant les locaux de la clinique grenobloise. Plus de 300 personnes ont en effet débrayé pour s’opposer au rachat du GHM (surnommé « La Mut’ ») par le privé lucratif, afin de préserver « l'accès universel à des soins de qualité » comme l’écrivait sur Twitter, Pierre-André Juven, le sociologue co-auteur de « La casse du siècle », un ouvrage qui propose une analyse des politiques hospitalières successives qui ont abouti à la crise actuelle.

Deuxième acteur de santé en Isère (après le Centre Hospitalier Université de Grenoble-Alpes, CHUGA), le GHM compte près de 440 lits et 1100 salariés (dont 200 médecins). Placé sous statut d'Espic (Établissement de santé privé d’intérêt collectif), il emploie des médecins libéraux « mais a toujours refusé de faire porter les dépassements d'honoraires sur ses patients, en choisissant de les prendre en charge. Et c'est principalement ce positionnement qui serait aujourd'hui directement menacé par le projet de cession de l'actuelle direction, composée du groupe Adrea et de la Mutualité Française », précise La Tribune, qui évoque les noms des repreneurs potentiels : le groupe Aesio (dont Adréa Mutuelle est actionnaire aux côtés d'Apréva Mutuelle et Eovi Mcd Mutuelle) ou le groupe C2S.

Lancée par les usagers, une pétition, qui a déjà récolté plus de 8 500 signatures, réclame d’ailleurs le maintien sur l’agglomération grenobloise « d’une réponse complémentaire au public et au privé lucratif indispensable pour tous les Grenoblois notamment en termes d’accessibilité financière (non dépassement d’honoraires ; NDLR) », c’est-à-dire d’une structure sanitaire non lucrative caractérisée « par une gestion désintéressée qui ne rémunère pas d’actionnaires, qui est soucieuse de l’intérêt général ».
 
Joint par WUD, le responsable médical de l’Institut de Cancérologie Daniel Hollard (la cancérologie fait partie des cinq activités dominantes du GHM avec les urgences et soins continus, la cardiologie, la chirurgie et la maternité), le Dr Nicolas Albin, estime que « le niveau de prise en charge, d’investissement et de couverture ne pourra pas être le même si le GHM est racheté par le privé lucratif ».
 
Si tel était le cas, le bassin grenoblois serait exposé à un risque sanitaire important en cancérologie, selon le cancérologue. L’Institut de Cancérologie Daniel Hollard est en effet un acteur majeur de l’activité cancer sur le bassin grenoblois. « On fait plus de 50 % de l’activité cancer, chimiothérapie et radiothérapie sur le bassin grenoblois. L’autre intervenant, c’est l’hôpital (le CHUGA ; NDLR). Donc, si on déstabilise un des acteurs majeurs de la prise en charge du cancer sur l'agglomération grenobloise, ou si vous ne lui permettez pas de continuer l’ensemble de ses activités, il y a un risque de dégradation de la prise en charge de patients atteints de cancer sur Grenoble. »

Visibilité financière

Selon Nicolas Albin, une structure privée lucrative ne sera pas en mesure d’assurer l’ensemble des missions qui sont aujourd’hui assurées par l’Institut de Cancérologie Daniel Hollard pour le traitement du cancer. « En cancérologie, de plus en plus d’examens biologiques sont nécessaires pour nos patients pour essayer de cibler au mieux des traitements et proposer des thérapeutiques innovantes ou nécessaires. Mais certains examens biologiques ne sont pas à la nomenclature et nécessitent un investissement de l’établissement. » Or, la particularité du GHM est qu’il a développé des activités dont la visibilité financière est difficile à établir, ce qui devrait changer en cas de rachat privé lucratif.
 
Par ailleurs, les soins qui « entourent » un patient atteint de cancer (soins avec la psychologue, la diététicienne, les infirmiers de parcours et de coordination, les soins esthétiques) « n’ont pas de lisibilité financière pour l’établissement. C’est-à-dire que ça nécessite souvent un investissement de l’établissement pour pérenniser ce type d’activité », poursuit le cancérologue.
 
Or, dans une structure privée lucrative, un bilan financier doit être à l'équilibre. « Si vous impactez sur le budget par des frais qui n’ont pas de lisibilité financière, ils ne seront pas réalisés, explique Nicolas Albin. Donc, l’éventail de prise en charge actuelle (diagnostic, guérison, soins palliatifs…) ne pourra pas être réalisé comme cela a été effectué en ce moment. »
 
Si la chirurgie ou la chimiothérapie classiques pourront continuer à être prises en charge, cela sera nettement plus compliqué pour les maladie rares, les cancers rares ou les cancers en situation de maladie réfractaire qui « nécessitent de plus en plus de moyens ». Si le GHM est racheté par le privé lucratif, « nous pourrons difficilement prendre en charge comme avant un patient atteint de cancer en situation de maladie réfractaire avec tout ce que cela demande comme soins, comme hospitalisations et comme analyses », précise le cancerologue.
 
En outre, la prise en charge du cancer est particulièrement onéreuse. Aujourd’hui, quand on traite un cancer, on ne se contente pas de faire de l’anatomopathologie. « On fait de l’analyse génomique extensive, on séquence les gènes, etc. pour que les gens bénéficient du traitement le plus efficace. Or, une structure privée n’aura pas les moyens de proposer ce type de prise en charge, donc les Grenoblois vont rester à quai si l'établissement est revendu au privé ».

Photo : Antoine Flechet​
 
C’est la raison pour laquelle la Ville de Grenoble a interpelé l’ARS pour faire part de ses craintes quant à la vente de « La Mut’ ». Celle-ci a répondu par courrier le 10 octobre  dernier pour dire qu’elle serait « vigilante quant au maintien d’une offre de soins de qualité, répondant aux besoins du territoire grenoblois ».
 
Une réponse « qui n’apporte aucune garantie quant à un éventuel repreneur qui viendrait spéculer sur le plateau technique de pointe et l’excellence des professionnels que propose le groupement, tout en délaissant les services les moins rentables au profit des activités les plus lucratives », estime Éric Piolle, le maire de Grenoble qui ajoute :
 
« En plus d’impacter les populations les plus fragiles, la cession du GHM à un acteur à but lucratif aurait également des conséquences dramatiques pour les équipes du Centre Hospitalier Universitaire Grenoble Alpes (CHUGA) déjà complètement pressurisées. En effet, ce sera vers cette institution que les personnes devront alors se retourner… si elles ne renoncent pas aux soins. »
 
Le maire de Grenoble milite donc pour des « projets coopératifs, solidaires, prônant et défendant une offre de soins de qualité et accessible à chacun. » Il fait notamment allusion à une offre de reprise sous le format d'une société coopérative (SCIC) actuellement accompagné par l'Urscop (Union régionale des SCOP). Ce projet de reprise pourrait intégrer la représentation des salariés, des usagers ainsi que de partenaires (collectivités, mais également des acteurs privés tels que des mutuelles, banques, etc), croit savoir La Tribune.

Pas de problème de rentabilité du capital

Une telle reprise, d’une telle taille, sous forme de SCIC (Société coopérative d'intérêt collectif), serait une première dans le domaine de la santé. « Il existe déjà des cliniques reprises en Scop, mais là, le projet est d’une taille bien supérieure à ce qui existe actuellement en France dans le secteur de la santé », explique Cyril Zorman, le président de l'URSCOP qui a été sollicité pour le projet de reprise.
 
Joint par WUD, il explique que « pas mal de voyants sont au vert ». Mais « nous sommes toujours dans l’attente d’informations financières et juridiques pour pouvoir répondre. Et on ne veut pas donner de faux espoirs tant que l’on n’aura pas tout analysé ».
 
Mais une chose est sûre selon lui. En cas de reprise sous forme de SCIC, « le GHM resterait dans le bien commun car la SCIC n’appartient qu’à elle-même. Il n’y aurait donc pas de problème de rentabilité du capital, pas de dividendes… Cela garantirait donc une certaine qualité des soins à long terme, une certaine couverture de soins, ce que le privé lucratif ne pourrait jamais faire. Notamment parce que sa problématique de dividendes jouerait obligatoirement sur la qualité de soins... ».

Photos : Antoine Flechet​

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