Fresque ou ne pas fresque

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Est-ce là la question ?

Fresque ou ne pas fresque

Suite aux vives réactions déclenchées par la publication de la fresque de Clermont, la rédaction partage un échange d’idées et d’observations entre Mme Clara de Bort, cheffe de pôle de la Réserve sanitaire EPRUS, ancienne correspondante Santé à la mission interministérielle de protection des femmes victimes de violence, et le Dr Alice Deschenau, rédactrice en chef de What’s Up Doc.

 

AD Clara, vous nous avez vivement sollicités via twitter sur ce fait d’actualité dont je propose le résumé suivant : la publication d’une photo d’une fresque de l’internat clermontois transformée en agression sexuelle pour dénoncer le projet de loi de santé, prise pour l'agression sexuelle de la Ministre de la santé elle-même.

 

CDB Oui car il me semble que toute une partie du sujet soulevé par cet événement n’est pas discutée ni débattue. Qu’un conseiller de la Ministre publie sur un compte personnel twitter des propos hostiles aux médecins concernés par cette fresque, propos suite auxquels l’Isni a annoncé entamer des poursuites judiciaires, c’est regrettable et cela favorise les amalgames avec la loi Santé. Prendre publiquement de telles positions lorsque l’on occupe de tels postes est risqué, vain et improductif. Mais de là à dire que cette affaire n’est qu’une affaire liée à la Loi Santé, je dis non ! Les premières réactions sur les réseaux ont été le fait de personnes, hommes et femmes, totalement étrangères à ces débats.

 

AD Les médecins se plaignent de l’amalgame, d’être accusés de promouvoir le viol. Il est important de distinguer l’existence de cette fresque, scène d’orgie entre super-héros, certes très crue, mais qui ne représente pas un viol, de l’ajout de bulles donnant parole aux personnages, qui transforment finalement l’illustration en scène de viol de la Ministre sur fond de conflit très dur entre la Ministre et les médecins. La dernière étape est la publication de cette fresque issue d’un espace plutôt privé, privé communautaire pourrait-on dire, en l’état sur facebook de manière publique.

 

CDB Oui cela rappelle l’épisode du « mur des cons » du Syndicat de la Magistrature, exutoire privé ciblant de nombreuses personnes publiques, qui avait fait l’objet d’une fuite dans la presse grand public. Ce qui est acceptable dans la sphère privée ne l’est pas forcément dans la sphère publique, y compris depuis Charlie. C’est l’erreur initiale, doublée d’une provocation : « N’en déplaise aux biens pensants et après signalements multiples, la photo ne sera pas retirée et c’est facebook qui le dit ». Les auteurs de la publication ont donc reçu plusieurs alertes et décidé de maintenir leur publication, taxant les opposants de « bien-pensants » en s’abritant derrière la politique de facebook, dont les choix ont été si souvent critiqués (cf. la campagne #FreeTheNipple)... C’était toucher de nombreux points sensibles !

Au-delà de ça, les premières réactions de médecins dimanche, aux accents particulièrement sexistes ont donné une toute autre dimension à l’affaire. Le fait que les personnes en désaccord soient qualifiées de « mal baisées », le fait de rire du viol, de suggérer, malgré les bulles très explicites, « qu’en savez-vous elle est peut-être consentante » : il est là le vrai scandale ! Combien de femmes n’osent pas dire à leur médecin qu’elles sont victimes de viol, précisément par peur qu’il doute de son non consentement ?

Depuis, ces attaques continuent, la porte-parole d’Osez le féminisme, qui n’a rien à voir avec la loi de santé mais qui a réagi publiquement à ce post, a reçu nombre de messages d’insultes profondément machistes de la part de médecins. Ces réactions sont un problème à part entière qui n’a rien à voir avec la Loi Santé, ni avec « l’esprit carabin ».

 

AD Le problème reste dans le raccourci qui a été opéré sur les fresques des internats et sur un dénigrement de la corporation médicale dans son ensemble. Si cette dernière s’offusque des accusations dont elle fait l’objet et fait bloc, c’est de voir la récupération qui en est faite pour désavouer la respectabilité des médecins en exposant sans pédagogie l’univers des salles de garde aux yeux du grand public, en plein cœur d’un bras de fer politique. Ce n’est pas la publication qui a été attaquée, ce ne sont pas les bulles qui ont dû être retirées, mais bien la fresque dans son ensemble.

 

CDB Oui je suis d’accord. Je pense qu’on est allé trop vite dans l’effacement total de la fresque. Mais c’est le retour de balancier auquel malheureusement les auteurs devaient s’attendre.

Pour autant, il est tout de même problématique que cet esprit carabinesque ne puisse pas être réinterrogé, discuté. Certes, il n’est plus question-là du cas particulier de la fresque de Clermont. Mais c’est aussi l’occasion d’un débat. Ces images de nature pornographique sont-elles toujours acceptables dans l’évolution actuelle de la société ? Pourquoi les personnes qui mangent, vivent dans les internats n’auraient-elles pas le choix ? Si j’ai envie de mater un porno chez moi, je le fais. Cela ne veut pas dire que, si je suis interne, j’ai envie de voir de la pornographie au petit dej.

Mais là encore, le simple fait de soulever ces questions n’amène hélas qu’un rejet de la discussion, sous prétexte d’une « tradition » qu’il serait interdit d’interroger, quand ce ne sont pas encore des insultes récurrentes sur le mode « mal baisées ».

 

AD Je ne pense pas que le débat soit fermé. Tant que les médecins seront attaqués dans leur ensemble sur cet univers culturel qui leur est propre de manière faussée, il est probable que cette discussion sera verrouillée par contre. C’est une réaction défensive face à une attaque dont l’objet a été déplacé. Comment laisser le débat se faire lorsqu’il n’a pas été ouvert ? Avoir demandé le retrait des fresques et non des bulles ajoutées n’a servi qu’à retirer le sens de la question posée pour servir la communication politique.

 

CDB Je ne peux que regretter cet amalgame avec la Loi Santé et l’absence de réflexion de la profession sur les propos et attitudes sexistes et/ou minimisant le viol. Je regrette aussi que l’on ne puisse encore réfléchir, dans le milieu médical, sur l’image de la femme véhiculée par une pornographie massivement faite par des hommes pour des hommes, lorsque l’on sait que la distribution des rôles est encore très fortement liée au genre dans le milieu de la santé. Je regrette enfin que cette polémique ait confisqué le débat sur la culture carabine et les formes d’« exutoire » nécessaires à l’apprentissage de la médecine, de la part de médecins qui, tout au long de leur carrière, devront prendre en charge au quotidien des personnes victimes de violences.

 

AD Merci en tout cas pour cet échange qui permet justement d’aborder ces questions !

 

Source:

Alice Deschenau

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