Doc en papier : Rieux, médecin face à La Peste

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Cet été, on manque de médecins, et vous ne voulez pas abandonner vos confrères… Pas de panique, WUD a la solution ! Pour rester en compagnie médicale, même sur la plage avec un bon bouquin, nous vous présentons quelques docteurs piochés dans les classiques de la littérature. Aujourd’hui, le Rieux de Camus.

Doc en papier : Rieux, médecin face à La Peste

On a eu tout le loisir, depuis plus de deux ans que le monde se trouve en situation de pandémie, de (re)lire La Peste d’Albert Camus, et d’y (re)découvrir la figure héroïque du Dr Bernard Rieux, le personnage central de ce récit paru en 1947 et qui se déroule à Oran, dans l’Algérie coloniale. Un médecin que, dans le roman, nul ne songe à applaudir au balcon… mais qui n’en rappelle pas moins, par bien des aspects, les soignants des années 2020 et leur combat contre le covid. Car ce qui frappe le lecteur contemporain de ce livre plus que septuagénaire, ce ne sont plus les analogies entre la peste et l’idéologie nazie, qui ont fait tant couler d’encre. Ce sont les similitudes bien plus prosaïques entre les différents stades par lesquels passent les Oranais frappés par le bacille de Yersin et ceux que nous connaissons depuis 2020. 

« Les chiffres montent, docteur : onze morts en quarante-huit heures », annonce l’employé de mairie Grand au Dr Rieux au début de l’épidémie, formule qui ne peut que nous rappeler les décomptes quotidiens que nous suivions, fébriles, en février 2020. Un peu plus loin, Rieux discute avec son confrère Castel en voiture. « Savez-vous, dit ce dernier, que le département n’a pas de sérum ? ». « Je sais, répond Rieux. J’ai téléphoné au dépôt. Le directeur est tombé des nues. Il faut faire venir ça de Paris ». Un dialogue qui, si l’on remplaçait « sérum » par « masques » et « Paris » par « Chine », pourrait avoir eu lieu dans les couloirs d’une ARS, début 2020.

Par la suite, on assiste aux efforts laborieux de Rieux pour convaincre les autorités de « fermer la ville » (on dit maintenant « confiner », mais la réalité est la même, demandez aux habitants de Shangaï), ou encore à son combat pour faire accepter les restrictions à tout le monde, y compris à ceux qui comme le journaliste Rambert croient avoir une bonne raison d’y échapper (« oui mais moi, le masque, ça m’empêche de respirer », dit en écho une petite voix dans la tête le lecteur, qui a si souvent entendu cette phrase en deux ans et demi).

Burnout à Oran

Après de longs mois de lutte contre l’épidémie, c’est une description de l’épuisement des soignants semblable à celle qu’aurait pu écrire un journaliste contemporain que nous livre Camus. « Rieux et ses amis découvrirent alors à quel point ils étaient fatigués, écrit l’auteur. En fait, les hommes des formations sanitaires n’arrivaient plus à digérer cette fatigue. Le docteur Rieux s’en apercevait en observant sur ses amis et sur lui-même les progrès d’une curieuse indifférence. » On ne changerait pas une ligne aujourd’hui, si ce n’est pour ajouter, probablement à tort, des expressions que Camus ne pouvait pas connaître : « perte de sens », « dépersonnalisation », « burnout », etc.

Reste le dénouement. Car on n’évente pas un grand secret en dévoilant que La Peste se termine par le départ de la maladie. Nulle deuxième, troisième ou septième vague dans l’œuvre de Camus. Vraiment ? Relisons les dernières lignes du roman. Rieux contemple ses concitoyens, qui profitent allègrement de ce qu’on appellerait aujourd’hui « le monde d’après ». « Il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais […] et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse. » Brrr…

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