Coup de pression sur le prix des médicaments : la pétition de MDM

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Quels sont l’impact et l’efficacité des pétitions lancées dans le monde de la santé ? Pour ce deuxième épisode de cette nouvelle rubrique du magazine de WUD, Olivier Maguet, responsable de mission « prix du médicament » à Médecins du monde (MDM), nous parle de la pétition lancée par l’ONG pour faire baisser drastiquement le prix des médicaments innovants.
 

Coup de pression sur le prix des médicaments : la pétition de MDM

WHAT’S UP DOC. D’OÙ EST VENUE L’IDÉE DE LANCER CETTE PÉTITION ?

OLIVIER MAGUET. En 2014, les premiers antiviraux action directe (AAD) pour traiter l’hépatite C, comme par exemple le Sovaldi®, ont été commercialisés en France. Pour la première fois dans l’histoire de la Sécurité sociale, la ministre de la Santé de l’époque, Marisol Touraine, a signé un arrêté qui restreint la prise en charge par l’Assurance maladie du Sovaldi® aux cas les plus sévères, c’est-à-dire aux infections les plus avancées. Pourtant, toutes les recommandations de santé publique expliquaient très clairement que les ADD de seconde génération, dont fait partie le Sovaldi®, devaient être prescrits à toutes les personnes infectées chroniques, indépendamment du degré d’avancement de la maladie. Par ailleurs, il vaut mieux prescrire le plus tôt possible pour limiter les risques de développer un cancer du foie.

Nous avons choisi l’arme de la mobilisation de l’opinion

Donc, Marisol Touraine, pour des raisons budgétaires, a pris une décision qui signifie deux choses. Premièrement, le rationnement de ce traitement pour les personnes les plus malades. Deuxièmement, pour l’autre moitié présentant peu ou pas des symptômes, la privation de chances de guérison. Donc, pour nous faire entendre, pour trouver des solutions à ce problème, nous avons choisi l’arme de la mobilisation de l’opinion après que nous avons, sans succès, alerté les pouvoirs publics sur ces dangers.

WUD. COMMENT AVEZ-VOUS CONCRÈTEMENT MIS EN ŒUVRE CETTE STRATÉGIE DE COMMUNICATION ?

O.D.  Au départ, il s’agissait d’une campagne d’affichage qui est devenue virale parce que, sous la pression du Leem (Les Entreprises du médicament), notre campagne d’affichage dans le métro a été censurée en 2016. En parallèle, on a lancé une pétition pour accompagner cette campagne « choc » de mobilisation de l’opinion publique. Je ne crois pas outre mesure à l’efficacité de cet outil pour interpeller les pouvoirs publics, mais c’était un outil pour des diffusions virales et partager le lien sur fond de campagne.

Cela a permis d’ouvrir un vrai débat public sur le prix du médicament

WUD. QUELLE EST L’EFFICACITÉ DE CETTE CAMPAGNE JUSQU’À PRÉSENT ?

O.D.  L’impact est très positif parce que cela a permis d’ouvrir un vrai débat public sur le prix du médicament. Il y avait dans le passé des questions sur les bénéfices de l’industrie pharmaceutique, les profits, les prix élevés des médicaments… Mais ce débat était, de mon point de vue, un petit peu binaire et gauchiste, avec les gentils acteurs de la société civile et les gentils mecs de gauche qui sont contre le méchant capitalisme représenté par le lobby industriel et pharmaceutique. Donc nous avons renouvelé les termes du débat en posant la question suivante : « Mais pourquoi c’est cher exactement ? » On a apporté des arguments qui étaient nouveaux et qui n’étaient pas uniquement liés à la recherche effrénée de profits.

Le brevet se négocie au prix fort

L’idée, c’était de démonter un système par lequel la financiarisation de l’économie est passée. Un système où les industriels du médicament ne font plus aucune recherche et développement (R&D). La vraie R&D est aujourd’hui faite par les start-up, qui ont bien compris l’intérêt financier d’un capital immatériel qui s’appelle le brevet. Le brevet fait partie des capitaux des entreprises, et ça se négocie au prix fort. Et aujourd’hui, pour avoir un brevet, il faut dépenser des dizaines de milliards. Cela peut même monter jusqu’à 75 milliards de dollars pour pouvoir négocier un brevet. Donc, on comprend pourquoi les prix des médicaments sont aussi élevés… On essaye d’introduire cette analyse-là qui commence à prendre, ce qui est pour moi un grand succès. Elle ne prend pas encore beaucoup auprès du grand public qui ne s’intéresse pas forcément à ça, mais elle prend avec les professionnels de santé.

Couper tous les liens avec l’industrie

WUD. L’IDÉE ÉTAIT DONC DE CONVAINCRE LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ ?

O.D.  Oui, nous avons d’ailleurs passé un accord avec l’Anemf (Association nationale des étudiants en médecine de France) car, aujourd’hui, les étudiants en médecine sont demandeurs d’un vrai débat sur la transparence autour du médicament et de l’indépendance à l’égard de l’industrie pharmaceutique. Ils aimeraient couper tous les liens avec l’industrie, et nous faisons le pari qu’il faut former ces jeunes médecins qui pourront par la suite s’opposer à l’industrie pharmaceutique avec une parole assez forte. Car ce sont eux les futurs acteurs et décideurs du système de santé.

Les pouvoirs publics n’ont pas bougé

WUD. AVEZ-VOUS ENTAMÉ DES PROCÉDURES JURIDIQUES POUR FAIRE BAISSER DRASTIQUEMENT LE PRIX DES MÉDICAMENTS ?

O.D.  Oui, nous avons déposé une plainte auprès de l’Office européen des brevets contre le Kymriah® qui est diffusé par le laboratoire Novartis, pour attirer l’attention sur « les prix exorbitants » de ces nouveaux traitements. Le Kymriah est une thérapie génique contre le cancer facturée 320 000 € par personne malade à la Sécurité sociale, donc c’est clair que l’on ne pourra pas généraliser ça à l’ensemble de la population souffrant du cancer. Pour la première fois, nous avons réussi à faire reculer un industriel qui a renoncé à ce brevet en décembre 2019, ce qu’on n’avait pas réussi complètement sur le Sovaldi®, pour lequel deux procédures sont toujours en cours. Mais, malgré le procès, les pouvoirs publics n’ont pas bougé. Donc, on va continuer à les mettre en tension de tous les côtés et on continuera surtout à solliciter les professionnels de santé pour les mobiliser, parce que ce sont les médecins qui reçoivent les patients. Mais aussi parce que ce sont de bons prescripteurs d’opinion.
 

PÉTITION
« Le prix indécent des médicaments, ça va durer encore longtemps ? »
EXTRAITS
« Madame la Ministre de la Santé, Nous ne vous apprenons rien en disant que le prix des médicaments est en constante augmentation. Que de tels prix ne sont absolument pas justifiés. Que les laboratoires pharmaceutiques font des marges colossales et révoltantes sur les traitements des malades. Que la Sécurité sociale n’est pas en mesure de rembourser ces traitements. Nous ne vous apprenons donc rien en disant que notre système de santé, et par conséquent notre santé, est en réel danger. Alors nous aimerions vous poser une simple question : Quand il s’agit de Santé, est-ce au marché de faire la loi, ou est-ce à l’État ? Nous vous demandons donc, d’user de tous les moyens juridiques et politiques en votre pouvoir, afin de faire baisser drastiquement le prix des médicaments innovants. Notre santé en dépend. »
NOMBRE DE SIGNATAIRES 
Plus de 254000 signataires au 17 juin 2020
Pour retrouver la pétition en ligne : cliquez ici

 

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