"Je savais que l'hôpital public était malade, mais pas à ce point-là. Ça fait peur !", confie Sophie (qui n'a pas voulu donner son nom), fonctionnaire de 57 ans.
En juin, cette Bretonne a passé 13 heures aux urgences de Brest, accompagnant sa mère septuagénaire, victime d'une chute avec perte de connaissance. "Je suis venue soigner ma mère. Je repars blessée", raconte-t-elle dans un témoignage écrit envoyé aux élus et à la direction du CHU.
A l'AFP, la quinquagénaire dit avoir été particulièrement choquée par "le désarroi des gens dans cette attente". "Ils appelaient mais n'avaient pas forcément de réponse car le personnel était débordé. C'est indécent", raconte-t-elle, décrivant une "médecine de guerre", une "maltraitance pour toute la famille".
De l'aveu même de la direction, 71 patients de plus de 75 ans ont passé plus de 23 heures aux urgences entre le 10 juillet et le 7 août.
Une nuit sur un brancard augmente de 40% le risque de mortalité pour un patient de plus de 75 ans
La CGT du CHU a affiché les cas les plus emblématiques sur un "mur de la honte", constitué de trois panneaux d'affichage, exposés par intermittence à l'entrée du bâtiment. On y apprend ainsi que le "record" de l'été est détenu par une certaine Mme D., 78 ans, qui a passé 34 heures sur un brancard le 17 juillet.
"On espère que la direction va prendre la mesure de la situation rapidement", affirme Thomas Bourhis, secrétaire du syndicat, qui rappelle la "perte de chance" subie par les patients qui restent trop longtemps aux urgences.
Selon une étude scientifique publiée en novembre 2023, passer une nuit sur un brancard aux urgences augmente en effet "de près de 40% le risque de mortalité hospitalière" pour un patient de plus de 75 ans.
"On sait tous que c'est dangereux de laisser des patients âgés trop longtemps aux urgences. On a des publications qui nous le disent et on le fait quand même", maugrée un médecin-urgentiste, sous couvert de l'anonymat.
"C'est comme si on disait à un chirurgien : crache dans tes mains avant d'opérer", compare-t-il, en assurant soutenir "complètement" le mouvement de grève lancé début juillet par la CGT pour dénoncer cette situation.
Un garage pour ambulance transformé en salle d'attente
"On est tous dans la même galère et la même désorganisation d'un service par défaut de moyens et de lits", abonde Anne-Dominique Curunet-Raoul, médecin urgentiste et membre du syndicat SAMU-Urgences de France.
"Les conditions d'accueil de nos patients ne sont pas bonnes, ce n'est pas respectueux. On a l'impression de ne pas bien faire notre métier", détaille-t-elle.
Au centre des critiques : un ancien garage pour ambulances, transformé en "salle d'attente allongée". Ce lieu, baptisé parfois "sas" ou "zone de stockage" par le personnel, peut accueillir 22 patients sur des brancards.
Sans lumière naturelle, ni point d'eau ou restauration, il offre peu d'intimité aux patients. "Un hangar à brancards", décrit Sophie, où certains patients attendent jour et nuit.
"Ce n'est pas du temps d'attente", corrige Laurence Jullien-Flageul, coordinatrice générale des soins au CHU. "On est sur de la prise en soins : dès que vous arrivez aux urgences, vous êtes accueilli par une infirmière et pendant tout ce temps-là, vous êtes surveillé par nos équipes".
La direction souligne d'ailleurs ses "efforts soutenus" pour améliorer la situation : embauche de 24 infirmiers et aides-soignants aux urgences, ouverture de 58 nouveaux lits, baisse du nombre de passages aux urgences.
"On a des effectifs qui sont cohérents avec notre activité", affirme Laurence Jullien-Flageul. "Maintenant il y a des jours où ça peut être plus compliqué que d'autres, on est sur de l'activité non-programmée", ajoute-t-elle à propos de journées "début août" avec "plus de 180 passages par jour".
"On ne peut pas se satisfaire des délais d'attente... enfin d'attente et de prise en charge", poursuit-elle. "Notre objectif c'est de toujours de continuer à travailler pour réduire les temps de prise en soins des patients."
Avec AFP