Cancer de chambre

Article Article

Critique de La chambre d’à côté, de Pedro Almodovar (sortie le 8 janvier 2025).

 Ingrid et Martha étaient amies, elles ont commencé leur carrière ensemble, fondé un magazine, avant que leurs choix respectifs ne les éloignent. La vie, ou plutôt la mort annoncée de l’une d’elles, va de nouveau les rapprocher…

Cancer de chambre

Julianne Moore et Tilda Swinton dans La chambre d'à côté de Pedro Almodovar.

© DR.

Dans un geste d’une sobriété impressionnante, Almodovar réalise un film proche de l’épure, tel une estampe japonaise.

Parmi les signes distinctifs d’un artiste génial, peut-être que le fait que chacune de ses œuvres annonce la suivante, autant qu’elle éclaire les précédentes, est le plus prédictible. Ainsi en est-il d’Almodovar qui, en trois films, choisit l’hôpital et la médecine comme point de départ de ses intrigues. Si Madres Paralelas effectuait, comme son prédécesseur Douleur et gloire, un voyage dans le passé, ces deux films constituaient aussi une histoire de naissances, voire de renaissances. Comme une façon, si ce n’est de tromper la mort, en tout cas de lui dire d’attendre encore un peu. Avec La chambre d’à côté, le cinéaste aborde frontalement ce qui était en germe dans cette dernière période, celle de la maturité : la finitude absolue que constitue le fait de regarder sa mort en face, de la choisir, de la préparer. Il est d’ailleurs saisissant de réaliser à quel point il l’effectue de façon directe, renouvelant, au risque de dérouter, sa façon de transmettre l’émotion. 

« Il s’agit du film le plus dépouillé de l’artiste, rompant avec des procédés qui faisaient souvent s’entremêler de nombreuses histoires » 

Ainsi, malgré sa signature habituelle faite d’articles de mode et de design impeccablement appariés et agencés, il s’agit du film le plus dépouillé de l’artiste, rompant avec des procédés qui faisaient souvent s’entremêler de nombreuses histoires, soit par nécessité narrative, soit par amour pour le foisonnement et la digression - c’est en quelque sorte l’anti Julieta, qui, sur des thèmes proches, manquait son but. L’histoire de cet accompagnement vers la mort constitue ainsi une ligne claire, une trajectoire droite - à l’image de son caractère irrémédiable - à laquelle est immédiatement ramenée chaque scène, la plupart, parce qu’elles semblent ouvrir sur quelque chose, constituant au final des tentatives de détour, de contournement. C’est un procédé qui a l’avantage de se prémunir de la flamboyance pour contenir l’émotion de façon constante, mais aussi de recentrer le film sur la beauté du geste sur lequel il repose : un acte échappant par essence à la compréhension puisqu’il est gratuit. Il est grandement aidé par le jeu limpide de deux immenses actrices (Julianne Moore et Tilda Swinton) incarnant des personnages composant avec leur psyché de façon presque opposée : à l’inquiétude torturée et agitée, combattue par une fausse détermination, de Martha, répond la capacité, pragmatique et généreuse, d’Ingrid de faire avec la tragédie, toutes les deux s’acheminant, et de façon différente, vers un abandon de soi.

Comme Ozon avant lui - dans Tout s’est bien passé - Almodovar, qui n’est pas neutre dans ce qu’il développe, choisit de faire passer son message par la description des risques et des aberrations sur lesquelles repose le suicide assisté, ainsi que de la procédure presque légale pour les éviter. Et nous montre en écho la simplicité avec laquelle pourrait s’envisager, dans des circonstances bien précises, un tel geste, se plaçant sous les auspices du mouvement du monde, de la nature, de ses prédécesseurs - Huston, Bergman, Ozu - et de la netteté géométrique de cette maison où tout va finir mais où, également, quelque chose pourrait recommencer - la dernière scène reposant sur une idée que son évidence rend merveilleuse.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/diaporama/les-10-films-quil-ne-fallait-pas-rater-en-2024-notre-palmares

Ce film singulier ne constituera probablement pas le chef-d’œuvre de son auteur. Mais c’est peut-être la première fois qu’on le sent si éloigné, dans sa démarche, du désir d’en réaliser un. Ça ne l’en rend pas moins beau. 

Aucun commentaire

Les gros dossiers

+ De gros dossiers