Le non-choix de Sophie

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Critique de "Tout s'est bien passé", de François Ozon (sortie le 22 septembre 2021)

Le non-choix de Sophie

Emmanuèle apprend que son père a fait un AVC. Diminué, celui-ci lui demande de l'aider à en finir. Elle va découvrir que, même en Suisse, le suicide assisté est un parcours du combattant. Est-il légitime de réclamer le droit de mourir quand l'élan vital est toujours bien présent? François Ozon nous offre à nouveau un grand film sociétal et apaisé, mais où la provocation ne réside pas là où on l'attend...

Avec Tout s'est bien passé, François Ozon réalise un film à rebours de tout ce qui pourrait être attendu à propos d'un tel thème : la fin de vie, ou plus précisément le suicide assisté. Plutôt que d'accompagner les derniers instants d'un homme à bout de souffle, il choisit de concentrer son récit sur une antithèse. Soit André, industriel foudroyé par une paralysie massive et dont le combat pour faire respecter son droit à l'autodétermination va accompagner l'amélioration physique et psychique. C'est bien cela qui est saisissant et émouvant dans cette adaptation du roman-témoignage d'Emmanuèle Bernheim : c'est en concevant son projet de mort qu'André trouve la force de continuer à poursuivre sa vie ; plus que ça, les complications engendrées par les ambiguïtés de la législation française face au système suisse, qu'Ozon décrit avec la même minutie et la même pédagogie que quand il relatait l'affaire Preynat dans Grâce à Dieu, donnent à son combat des allures d'épopée rocambolesque, où la volonté de surmonter les obstacles permet à cette famille confrontée à l'impensable de s'acheminer vers la mort d'un des siens en étant pleinement dans la vie. Ce n'est ainsi pas un vieillard qui s'enfonce dans la maladie qu'André Dussolier interprète avec une maestria gourmande, mais un homme qui se rétablit peu à peu et qui, par une force de conviction de plus en plus tranquille, réussit probablement sans en avoir conscience à, si ce n'est réparer, tout du moins apaiser les lignes de faille que son caractère et ses choix de vie ont créées chez ses proches. 

Car François reste Ozon, et son regard sur la famille n'a rien perdu de son acuité, à la fois cruelle et indulgente. Derrière la bonhomie d'André se cache ainsi une forme de tyrannie, amplifiée par un individualisme et des choix guidés par une émotionnalité histrionique, et dès lors amputée d'empathie. Et aux côtés du sourire d'une Sophie Marceau plus terrienne que jamais, formidablement juste, ainsi que de la grâce discrète que Géraldine Pailhas insuffle à son personnage de petite soeur défensive et rendue rivale par le patriarche, se dressent des fantômes à peine esquissés mais durablement impressionnés, mère éteinte par la dépression, amant consumé et conspué, enfant humiliée, autant de victimes ne pouvant s'empêcher d'aimer et de craindre leur bourreau. Cette violence, Ozon la dispose de façon souterraine, jamais caricaturale, et sans l'occulter. Il nous y confronte de façon souvent indirecte, notamment par l'intermédiaire des souvenirs ou des cauchemars qui traversent Emmanuèle. Et il montre admirablement comment, parce que la mort d'André devient envisageable, parce qu'elle est lentement préparée et progressivement acceptée, celui-ci fait la paix avec ses propres démons et rend à chacun la liberté de résoudre son propre scénario de vie. A l'instar d'Emmanuèle qui trouve en elle le courage insoupçonné de lui faire face et de se risquer, par son choix - qui en est un même si elle s'en défend -, à l'aimer véritablement.

C'est par de simples aspects techniques, où la procédure médicale est sans cesse rattrapée par la procédure pénale, qu'Ozon, rétif à tout discours réducteur et donc militant, parvient néanmoins à dénoncer les multiples hypocrisies d'un droit qui, parce qu'il n'existe qu'à l'étranger, n'est accessible que moyennant certains privilèges - culture et finances - et contraint les proches à la criminalité. Mais, quelle que soit l'aridité de sa description, il reste un homme convaincu par le pouvoir du cinéma. Et c'est par le truchement d'Hannah Schygulla, icône éternelle d'un cinéaste qu'il admire, qu'il rend ces moments profondément émouvants. Dans un rôle dont l'importance est similaire à celui qu'elle avait dans la Prière de Cédric Kahn, disons celui de révélateur, elle est subjugante. A l'image de ce film au propos subtil, à l'émotion calibrée et à la provocation dissimulée - la provocation qu'il y a à accepter de voir cohabiter pulsion de vie et désir de mort.

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