Archi' thérapeutique : une chambre d’isolement qui relaxe

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A l'Hôpital Paul Guiraud (Villejuif)

Archi' thérapeutique : une chambre d’isolement qui relaxe

Dans le service psychiatrique de l’Hôpital Paul Guiraud, la chambre d’isolement a été repensée. Ambiances tamisées, décor coloré… Une atmosphère qui stimule les sens pour restaurer l’apaisement. Une autre conception du soin est à l’œuvre. 

Les ambiances lumineuses se succèdent dans la pièce. Rouge, rose, jaune, bleu… « Il y a toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, le patient peut choisir », sourit notre accompagnatrice. L’arbre et les bulles tracés sur les murs semblent flotter. Un jeune homme passe par là. « Ca fait un peu discothèque ! ». Il ne croit pas si bien dire : d’ici peu, on installera une enceinte dans la chambre, connectée en Bluetooth pour que les patients puissent écouter leur propre playlist. « Manque plus qu’une boule à facettes et on y est », blague-t-il. Il connaît les lieux pour y avoir passé un certain temps – et ce n’était pas pour danser.

La chambre d’isolement de l’Hôpital Paul Guiraud (Villejuif) a de l’allure. Très éloignée de ce que l’imaginaire collectif conçoit de ce type d’endroit –  matelas au sol, lumière blafarde, murs décrépis… Le bagne version hôpital. L’image colle effectivement à la réalité de nombreux services psychiatriques, mais ici, les soignants ont fait un autre pari. Ils ont créé une chambre d’isolement où, osons le dire, les patients pourraient bénéficier d’un moment vraiment apaisant.

Des méfaits de l’isolement sensoriel

« A l’origine, c’est l’objectif de ce soin, rappelle Claire Granier, psychiatre du service. L’isolement vise à contenir l’angoisse chez des patients qui représentent un danger ». Ca, c’est la théorie. En pratique, il est perçu comme un acte répressif, violent, humiliant, qui aggrave des symptômes de stress et d’agressivité déjà aigus. Et la conception de la pièce, carcérale et déshumanisée, y est pour beaucoup. « L’isolement sensoriel est très anxiogène, confirme le Dr Granier. Le temps paraît une éternité. N’importe qui normalement constitué angoisserait, ici… ». En matière d’efficacité thérapeutique, on a vu mieux.

Alors, soignants et soignés se sont réunis pour un brainstorming. Les retours d’expérience ont nourri le projet, le vécu du patient a été placé au cœur de la démarche. Une architecte d’intérieur, très sensible à la cause, s’est mise à l’œuvre. D’abord, les couleurs : « certaines teintes relaxent et réduisent le rythme cardiaque, comme le rose, explique Marianne Colombani. Une lumière colorée évolutive remplace un éclairage au néon, de nuit comme de jour, ce qui permet de rythmer la journée. Les patients sont demandeurs de curseurs spatio-temporels ». Puis, le décor : « le rond est la forme apaisante et rassurante par essence, symbole de maternité, de vie, de cocon protecteur. Il s'agit de mettre de la courbe là où il n'y a qu'arêtes et encoignures ».

La chambre a été transformée il y a un an ; les effets sont radicaux. Des patients moins violents, plus calmes, des séjours nettement plus courts. « Un ou deux jours, pas plus – avant, c’était plutôt huit », rapporte le Dr Granier. Fini, la dégradation des lieux, les repas balancés sur les cloisons, les murs grattés et tagués… La nouvelle architecture apaise les patients légers comme les plus agités. Finalement, « c’est la salle la plus sympa du service, ils ne veulent plus en partir ! ».

Des bénéfices pour les soignants

Pour les soignants, l’intérêt est évident. Plus de coups tambourinés contre la porte – seul moyen de communication possible pour les isolés, et source de stress pour tout le monde. Ici, il suffit au patient de sonner à l’interphone. « Cela introduit un lien permanent avec lui, on peut discuter, le rassurer, tout en continuant nos tâches », explique Boubacar Sow, infirmier. Les relations sont pacifiées, le respect mutuel s’affiche. « C’est beaucoup plus valorisant de travailler comme ça ».

Il a fallu batailler pour voir naître ce projet. L’équipe parle d’une certaine « résistance institutionnelle », de quelques « incompréhensions ». « La représentation punitive de l’isolement persiste dans de nombreux lieux, explique Jocelyne Osmani, cadre supérieur de santé. Cela a pu générer une forme d’hostilité par rapport au projet. Mais les vraies difficultés étaient d’ordre économique ». Pour convaincre l’administration de débloquer les crédits, les soignants ont dégainé la calculette : moins de dégradations sur les murs, moins de dépenses à la clé !

Le recours à la chambre d’isolement n’a cessé d’augmenter ces dernières années. « Pour des raisons budgétaires, pour pallier le manque de personnel, mais aussi en raison d’un tournant sécuritaire, précise Jocelyne Osmani. Ma génération n’utilisait jamais les chambres d’iso, on pouvait prendre le temps de parler aux patients pour les rassurer ». A défaut de temps, les hôpitaux disposent d’un outil : une architecture sur-mesure, propre à réconforter les patients isolés et à pacifier leurs soins.   

Source:

Ana Martel

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