AFM-Téléthon : comment les patients et leurs proches ont révolutionné la recherche médicale

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Le Téléthon 2025 se tient ces 5 et 6 décembre 2025. Née grâce à la détermination de parents d’enfants atteints de myopathie, l’association a su transformer l’épreuve de la maladie en une force génératrice d’entraide, de progrès scientifique et d’innovation sociale. Retour sur les raisons de ce succès, à la lumière des théories de l’empowerment.

AFM-Téléthon : comment les patients et leurs proches ont révolutionné la recherche médicale

© Midjourney x What's up Doc

 

Lorsqu’est créée, en 1958, l’Association française pour la myopathie (AFM), scientifiques et médecins n’ont que très peu de connaissances sur la maladie. Soutenue par une poignée de parents de patients, sa fondatrice Yolaine de Kepper, elle-même mère de quatre enfants atteints de myopathie de Duchenne, n’accepte pas la fatalité.

Elle décide de créer une structure pour faire connaître (et reconnaître) cette maladie, avec l’ambition de parvenir un jour à guérir les malades, dont la majorité mourait avant d’atteindre l’âge adulte. Les statuts initialement enregistrés au Journal officiel précisaient alors que l’objet de l’AFM était « [le] recensement des myopathes en France et en Belgique, [l’]obtention pour les malades atteints de myopathie des avantages du régime “longue durée” ; [la] création d’un centre spécialisé social et médical ».

Un peu moins de soixante-dix ans plus tard, devenue Association française contre les myopathies puis AFM-Téléthon, cette structure est une actrice incontournable de la recherche biomédicale, dont l’influence et l’expertise s’étendent bien au-delà de son périmètre initial.

L’analyse croisée des rapports institutionnels de l’association ainsi que de publications scientifiques ou issues de la société civile permet de mieux comprendre comment ce succès s’est construit, grâce à l’empowerment collectif.

De la révolte des familles à la naissance d’un mouvement

Sur son site Internet,l’AFM-Téléthon revendique un réseau de 68 délégations s’appuyant sur plus de 850 bénévoles afin d’accompagner quotidiennement les malades et leurs proches.

Le refus de la fatalité, la solidarité, la quête de solutions sont les valeurs fondatrices de ce collectif. En devenant membres de l’AFM, les parents sortent de leur isolement, s’entraident et mutualisent leurs expériences. Au fil du temps les réunions informelles se sont structurées ; l’association dispose aujourd’hui d’importants moyens d’accueil et d’information : groupes de paroles, lignes d’écoute, forums…

Le rapprochement de familles confrontées aux mêmes maux a permis de faire émerger une prise de conscience, une identité partagée, des liens de solidarité, un savoir et un pouvoir collectifs offrant une illustration concrète de l’empowerment communautaire. Ce terme d’empowerment est difficile à traduire en français, car il n’existe pas réellement d’équivalent capable de restituer à la fois sa dimension individuelle et sa dynamique collective, évolutive et transformative (même si des essais ont été tentés, tels qu’« empouvoirement », « pouvoir d’agir » ou « encapacitation », notamment).

Quand les patients deviennent partenaires de la recherche

Au début des années 1980, l’AFM réalise qu’aider ne suffit pas : il faut chercher à guérir. En 1981, elle crée son premier conseil scientifique, posant les bases d’une alliance entre familles, chercheurs et médecins. En 1982, sous la présidence de Bernard Barataud, elle adopte une devise ambitieuse, « Refuser, résister, guérir ».

Mais pour atteindre cet objectif, l’association a besoin d’argent, de beaucoup d’argent. En 1987, inspirée par le Jerry Lewis Show, l’AFM lance le Téléthon avec France 2. Un marathon de trente heures d’émission en direct qui mobilisent tout un pays : 180 millions de francs (soit l’équivalent de 27 millions d’euros) sont collectés dès la première édition. C’est un tournant historique – la société civile devient co-actrice de la recherche médicale.

L’association investit dans des laboratoires et des instituts (voir tableau plus bas) et les découvertes scientifiques majeures s’enchaînent :

Dans son rapport annuel et financier 2024, l’association revendique plus de 40 essais cliniques en cours ou en préparation pour 33 maladies différentes (muscle, peau, cœur, vision, foie…).

Ce contexte a permis à Laurence Tiennot-Herment, présidente de l’AFM, de déclarer lors du Téléthon 2024 :

« Aujourd’hui, nous avons des résultats concrets. C’est une révolution médicale collective. »

L’accompagnement au plus près des familles

Parallèlement au progrès scientifique, l’association poursuit sa mobilisation en faveur du soutien aux malades dans leur vie quotidienne en concevant un maillage au plus près des familles. L’AFM-Téléthon se prévaut de 120 référents parcours de santé qui interviennent non seulement à domicile, mais aussi à l’école et en entreprise, afin d’accompagner chaque étape du parcours de vie : diagnostic, scolarisation, emploi, démarches administratives.

Vecteurs d’empowerment individuel, ces professionnels favorisent l’expression des besoins, la prise d’autonomie et la construction de projets de vie adaptés à chaque situation. Leur accompagnement sur mesure aide les personnes à faire valoir leurs droits, à renforcer leur capacité d’agir et à devenir acteurs de leur parcours.

Ces dispositifs placent les personnes concernées au cœur des décisions qui les affectent. Des groupes d’intérêt par pathologie sont aussi constitués (Myopathies de Duchenne et de Becker, Amyotrophies spinales, Myasthénie, Dystrophie myotonique de Steinert, Dystrophie facio-scapulo-humérale, Maladies neuromusculaires non diagnostiquées, Myopathies inflammatoires, Myopathies des ceintures). Ils réunissent des personnes ayant développé une expertise approfondie de leur maladie. Ensemble, ils mobilisent leur intelligence collective pour co-produire des connaissances et développer les filières de santé ainsi que la recherche.

Mobilisant son énergie et ses ressources autour de deux stratégies complémentaires, l’AFM-Téléthon inscrit donc ses actions dans un empowerment collaboratif d’envergure : un axe scientifique, associant les familles à la production de connaissances fondamentales et au développement de programmes expérimentaux, et un axe social, fondé sur l’accompagnent à l’autonomie avec la co-conception de services (ouverture d’une ligne téléphonique « accueil familles » – 0 800 35 36 37 – accessible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, création de lieux de répit) et de dispositifs de soutien en proximité (visites à domicile par les référents de parcours santé cités précédemment, cellule d’aide psychologique durant la pandémie).

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/grand-format/medecins-vos-patients-ont-beaucoup-de-choses-vous-apprendre-sur-la-dystrophie

De la science à la société

L’AFM-Téléthon porte une vision ambitieuse et volontariste de la santé. Ses plaidoyers inspirent les plans nationaux sur les maladies rares et promeuvent une recherche simplifiée, mieux financée et tournée vers l’innovation.

Ainsi, le programme de dépistage néonatal comprend désormais celui de l’amyotrophie spinale infantile (SMA) chez les nouveau-nés. Il s’agit d’une extension nationale du projet Depisma porté par l’AFM-Téléthon (le projet Depisma, projet-pilote de dépistage génétique à la naissance a été déployé par l’AFM-Téléthon dans les régions Nouvelle-Aquitaine et Grand-Est ; lancé en janvier 2023, il a permis de dépister la maladie sur quatre bébés et de la traiter).

Mais son influence dépasse largement le champ sanitaire : ses trente heures d’antenne et les milliers d’événements organisés dans plus de 15 000 communes ne sont pas seulement des temps de collecte : ils constituent un levier de transformation sociale. En offrant une tribune aux malades et à leurs proches, l’association a rendu visibles celles et ceux que la société tenait à distance.

L’association s’inscrit dans une tradition d’action axée sur la solidarité, l’accompagnement des familles et le soutien à la recherche, écartant toute prise de position partisane. Cette orientation stratégique lui permet de concentrer ses ressources sur son obligation de résultat (sauver la vie des enfants).

Par ailleurs, elle met son expertise scientifique et organisationnelle au service d’autres associations, notamment pour le développement de biomarqueurs, la structuration des filières ou la réponse à des appels d’offres. L’exemple de l’AFM-Téléthon illustre la manière dont un acteur majeur peut contribuer à renforcer un empowerment collectif, sans nécessairement investir le registre politique au sens strict comme ont choisi de le faire d’autres mouvements.

L’empowerment des patients. La révolution douce en santé, Presses de l’EHESP, octobre 2025. DR
Pour approfondir :The Conversation
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