La course à pied use-t-elle le corps des sportifs, professionnels comme amateurs ?

Article Article

Les situations des sportifs amateurs et celles des athlètes professionnels qui s’adonnent à la course à pied ne sont pas comparables, en termes de sollicitations physiques mais aussi d’encadrement pour les accompagner. Pour autant, ni les uns ni les autres ne sont à l’abri d’une usure de leurs corps due à la pratique de cette activité physique. Explications.

La course à pied use-t-elle le corps des sportifs, professionnels comme amateurs ?

© IStock

La course à pied fait partie des activités sportives les plus à la mode actuellement. La course commence même parfois avant la compétition en elle-même, certaines épreuves voyant leur jauge d’inscription se remplir en seulement quelques heures. On parle de « course au dossard… ».

Dès lors, alors que la course à pied conserve pour beaucoup l’image d’une activité bonne pour la santé, la simple considération du stress ressenti par certains pour simplement avoir un dossard, ou plus concrètement l’état de fatigue apparent à l’arrivée de courses comme le marathon ou le trail doit amener à nous questionner sur son retentissement sur la santé, dans ses différentes dimensions, que l’on soit coureur assidu ou intermittent. Prêt ? Partez !

L’intensité des entraînements des athlètes professionnels

On pourrait facilement mettre dans deux cases différentes les coureurs à pied professionnels et les amateurs. Et oui, ça s’entraîne un athlète professionnel, durement… jusqu’à trois fois par jours dans certaines phases de préparation ! Une vie d’ascète, manger, courir, dormir, qui laisse peu de place à l’improvisation. En effet, même si les épreuves semblent multiples, aux quatre coins du monde, la concurrence est forte dans un sport aussi universel et il faut mettre son corps à rude épreuve pour le faire progresser jusqu’à sa limite.

Les carrières à haut niveau sont ainsi souvent courtes, cinq ou six années peut-être, et les cas comme celui d’Eliud Kipchoge, premier homme à avoir couru (dans des conditions non homologables) un marathon en moins de deux heures, seize ans après avoir été champion du monde du 5 000 mètres sur piste, restent des exceptions.

La charge mécanique importante inhérente à la pratique affecte les muscles, les tendons, le squelette. Les phases de repos sont parfois courtes et il devient de plus en plus courant de voir, lors des retransmissions télévisées, des athlètes se blesser en pleine compétition, signe d’usure physique et mentale… D’aucuns pourraient considérer ces éléments comme plutôt classiques, après tout, ce sont des sportifs de haut niveau…

Des points communs entre pros et amateurs

Une question toutefois se pose : le champion du monde, le champion du coin et le coureur lambda sont-ils si différents ? La partie émergée de l’iceberg amène à une évidence… ils ne courent pas à la même vitesse et donc le temps d’effort varie… mais quid de la partie immergée : la phase de préparation d’avant course, l’entraînement… l’investissement et l’abnégation des individus ? Quand on veut battre un record, son record, ne court-on pas à 100 % physiquement et mentalement ?

Considérons les chiffres du marathon de Paris en 2025 : 56 950 inscrits à la course, 55 499 arrivants… Une épreuve de masse… mais un même défi : 42,195 km pour la cinquantaine d’athlètes, peut-être considérés comme étant de haut niveau, et pour tous les autres qui doivent composer avec leur activité professionnelle, leur vie de famille, etc.

Ainsi, quel que soit son niveau, sa vitesse de course, il y a de nombreuses ressemblances dans les modalités de préparation d’un marathon, des charges identiques. Illustrations : une préparation type marathon s’étale classiquement sur dix à douze semaines avec des incontournables comme « la sortie longue », un entraînement d’une trentaine de kilomètres recommandé une fois par semaine…

Cette séance particulière, tout le monde y passe ! Et on peut trouver toute une gamme d’ouvrages grand public pour accompagner les pratiquants, qui s’appuient sur les données scientifiques.

Mais avec l’usure potentielle liée à l’entraînement, la lassitude qui va avec, le risque de blessures augmente…

Préparation marathon ou trail : un risque de blessures majoré chez les amateurs

D’ailleurs, c’est le plus souvent au niveau des amateurs que l’on voit profusion de blessures caractéristiques d’une forme d’usure, de sursollicitation de son corps

Un athlète de haut niveau ne consulte pas nécessairement un médecin du sport. Pourquoi cela ? Parce qu’il s’est construit sa carrière au fil des années, il présente des caractéristiques génétiques spécifiques qui lui font bien mieux accepter de fortes charges d’entraînement. Il suit une programmation spécifique incluant mesures diététiques, phase et processus de récupération…

Un sportif professionnel bénéficie d’un bien meilleur suivi général et médical qu’un coureur néophyte ou amateur qui, par défi individuel ou collectif, se lance dans un projet type marathon ou trail. C’est ainsi qu’une coureuse comme Christelle Daunay, après quinze années de pratique et des débuts modestes au niveau national, a su patiemment se construire jusqu’à remporter le championnat d’Europe de marathon en 2014 à Zurich.

La question de l’usure du corps chez les pros

La question de « l’usure du corps » est posée depuis longtemps. Dans les années 1990, on décrivait déjà que le seul fait de courir quarante-cinq minutes plutôt que trente minutes par jour pouvait aller jusqu’à multiplier par deux la fréquence des blessures. Et que le fait de passer de trois à cinq séances hebdomadaires avait des effets semblables.

Christelle Daunay n’y a pas échappé. Elle a ainsi souffert d’une fracture de fatigue en 2018 qui l’a empêchée de défendre son titre de championne d’Europe du marathon en 2014. À noter qu’on appelle « fracture de fatigue » une atteinte osseuse, comparable à une fissure, qui peut être provoquée par la répétition de la foulée.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/marathon-de-plus-en-plus-de-coureurs-moins-de-morts-explication

Des risques accrus de fatigue psychique et physique avec l’ultra-trail ?

Le développement récent du trail, ou course à pied pratiquée en pleine nature, ne fait que renforcer les considérations sur le sujet, car en plus des lieux géographiques, le côté « ultra » séduit.

Cependant, le trail a sa propre particularité, la variation du terrain sollicitant des mouvements articulaires et musculaires différents et donc une concentration plus marquée que sur la route. Ajoutez-y des durées d’effort de quelques heures à une journée complète et plus, les problématiques de l’alimentation, de la gestion de l’effort, des dommages musculaires qui s’immiscent à la longue… et l’on comprend facilement pourquoi ces épreuves sont propices à nourrir fatigue psychique et physique non seulement durant l’épreuve, mais aussi sur du long terme.

Les conditions de l’usure du corps associée à la pratique d’un sport comme la course à pied sont donc multiparamétriques et ses traductions variables selon la personne. La recherche d’une performance physique peut relever d’une vitesse de course ou de la réalisation d’un objectif kilométrique.

User le corps à un instant t pour augmenter sa résistance… à l’usure

Quelle que soit cette orientation, les personnes s’engagent souvent dans des préparations particulières car une progression physique, physiologique s’appuie sur les capacités d’adaptation phénoménale du corps humain.

Notez ici le paradoxe. Un des principes de l’entraînement est de stimuler son corps, de « l’user » à un instant t afin qu’il engage les processus physiologiques qui vont conduire à l’amélioration de ses capacités, la lutte contre la fatigue… et, finalement, à l’augmentation de la résistance à l’usure.

Ce processus fondamental est ainsi à la base des programmes de réhabilitation/réadaptation physiques qui font de plus en plus foi dans les contextes physiopathologiques, par exemple pour prendre en charge les artériopathies périphériques ou l’obésité.

Cependant, dans ses dimensions les plus intenses, l’entraînement peut nécessiter un engagement mental, une résistance à la lassitude, une volonté affirmée pour poursuivre les efforts dans le temps malgré la fatigue.

L’usure peut donc aussi être mentale. C’est peut-être là la différence majeure entre l’amateur et le professionnel qui n’a pas d’autre choix que d’user fortement son corps pour progresser dans la hiérarchie du haut niveau.

Pros ou amateurs, de l’importance d’être bien encadrés

Chercher à repousser ses limites physiques et mentales peut conduire tout coureur à se sentir « usé ». Tous ces éléments soulignent l’importance d’être bien encadré et conseillé (par des coachs, dans un clubs, etc.) pour faire les entraînements avec une certaine progression, tant dans la quantité que dans l’intensité et adapter son rythme de vie.

Pas besoin de matériel technique pour courir, un avantage de cette activité idéale pour ressentir son corps, dès lors que l’on a conscience des risques et limites associés aux épreuves. Et rassurez-vous, si malgré tout, vous n’appréciez pas ce sport, l’offre est suffisamment large pour que vous trouviez chaussure à votre pied et bénéficiiez des bienfaits de la pratique physique sur la santé… l’important reste de bouger !

Extrait d’Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, Haruki Murakami (éditions Belfond, 2009) :

« Les êtres humains continuent naturellement à faire ce qu’ils aiment et cessent ce qu’ils n’aiment pas. Voilà pourquoi je ne conseille jamais aux autres de courir. Le marathon ne convient pas à tout le monde. De même, tout le monde ne peut pas devenir romancier. »

 

Benoît Holzerny, coach athlé santé, et Cédric Thomas, entraîneur d’athlète de haut niveau (notamment de Christelle Daunay, championne d’Europe de marathon en 2014), sont coauteurs de cet article.The Conversation
Sylvain Durand, Professeur de physiologie humaine au département STAPS, chercheur au laboratoire Motricité, Interactions, Performance, Le Mans Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Aucun commentaire

Les gros dossiers

+ De gros dossiers